Lara Jenkins

LES ARCS FILM FESTIVAL 2019 – Compétition Long-métrages

Impossible d’oublier le surprenant, exaltant, enthousiasmant film OH BOY de Jan-Ole Gerster, sorti en France en 2013, comme s’il était venu de nulle part. Un geste qui annonçait une œuvre prometteuse pour le cinéaste allemand, aussi bien dans son ton jazzy, que dans le j’en-foutisme dandy de la mise en scène, et dans le regard plein de détermination sur un renouveau du cinéma allemand. Autant dire que l’on attendait avec impatience le retour de Jan-Ole Gerster. À notre plus grande surprise, LARA JENKINS n’a rien de jazzy ni de dandysme, et laisse place aux couleurs contrairement au Noir&Blanc très intelligent de OH BOY. Ce deuxième long-métrage est tout de suite très intriguant, car il ne s’inscrit pas du tout dans une continuité du précédent. Il s’agit là d’un tout autre objet, même si pas tellement éloigné dans le sujet et le propos.

La toute première scène ressemble à du Noir&Blanc, dans un appartement très peu éclairé avec les rideaux fermés. Seules quelques couleurs mettent en valeur des objets du passé de la protagoniste Lara, identifiant qu’elle a une famille et une certaine culture. Le peu de vie qu’il reste se trouve sur une table, où l’on peut décerner une lettre d’adieux qui a eu plusieurs essais, tels les souvenirs d’une vie qui est au bout. Sauf que, tout le geste de Jan-Ole Gerster est d’explorer ces moments de flottement dans la journée d’un personnage. Ainsi, ce début très sombre laisse place à une situation cocasse : deux agents de police sonnent à sa porte, interrompant Lara dans sa tentative de suicide. Le film débute donc avec cet humour noir, pour mieux enclencher l’amertume et le flottement de la journée à venir. En effet, comme avec OH BOY, le récit de LARA JENKINS se déroule sur une seule journée.

Tout le reste du film n’est pas vraiment une comédie noire, mais plutôt un drame intime qui utilise une mise en scène cocasse pour mieux explorer le conflit de la protagoniste envers elle-même et envers autrui. Le cinéaste est surtout intéressé par la quête d’identité, celle d’une protagoniste désabusée de la vie et qui ne trouve plus une seule raison à son existence. Alors qu’elle conçoit l’amour par la stricte honnêteté (même celle qui fait mal, qui blesse), Lara se révèle être un personnage horrible, qui a tout d’une anti-héroïne. Sans amis, elle est assez méchante et méprisante avec tous ceux qui l’entourent, comme si cela permet de combler ses propres traumatismes. La mise en scène révèle comment Lara projette ses amertumes personnelles (surtout celles du passé) dans ses relations compliquées avec autrui. Mais le long-métrage n’est pas à propos de cette méchanceté ni de la projection. Alors que Lara semble continuer à s’enfoncer dans l’auto-destruction, Jan-Ole Gerster creuse les causes de cet état, pour mieux construire une manière de la revitaliser.

Le plan final résume à lui seul toute l’intention du film, tout le geste du cinéaste qui cherche le mouvement qui va refaire vivre pleinement sa protagoniste. La caméra suit Lara partout, la soutient dans chaque moment et chaque interaction. Le cadre croit en Lara, et la propulse dans plusieurs espaces différents à la recherche de réponses (sur le passé) et d’un socle (sur lequel s’appuyer pour continuer à apprécier la vie). Contrairement à OH BOY, Lara ne s’appuie pas sur autrui pour vivre. Il est révélé que son existence s’appuyait autrefois sur son art, elle qui était musicienne – mais dont la carrière s’est arrêtée, par la peur de ne pas être assez douée, par peur de l’humiliation. Petit à petit, la mise en scène de Jan-Ole Gerster – qui fait errer Lara dans plusieurs espaces qu’elle connaît – tente de s’appuyer sur des substituts. Que ce soient des amis qui n’en sont pas vraiment, l’achat d’une nouvelle robe, l’achat d’un gâteau, …, la mise en scène nous dirige vers des fausses pistes. Avant de finir par trouver la réponse dans l’intérieur même de Lara.

Toute tentative de s’accrocher à quelque chose est un terrible échec, qui fait retourner Lara à l’amertume et son état désabusé. Jan-Ole Gerster compose beaucoup avec la mélancolie, celle des années perdues et des ambitions gâchées. Cette mélancolie permet à la mise en scène de prendre une certaine ampleur, car la seule présence de Lara impacte les sentiments et les attitudes des autres personnages. Partout où Lara va, Jan-Ole Gerster met en scène et filme une distance entre la protagoniste et autrui. Il y a évidemment quelque chose de cocasse (parce qu’elle ne souhaite pas y être), mais il y a surtout la mélancolie de la question existentielle « que fais-je ici ? » où on peut s’interroger sur son rôle à tel endroit à tel moment. Bien plus pertinent, le soutien apporté par le cadre, la distance qu’il crée avec autrui, et la mélancolie de la mise en scène permettent au cinéaste de travailler sur le silence. Celui qui crée une gêne, qui donne l’impression que la présence de Lara n’est qu’un anachronisme.

Presque un film de fantôme, donc. Toutefois, la mélancolie et le sentiment désabusé sont incarnés par une froideur dans la photographie. Presque anecdotique, l’esthétique se contente trop souvent d’observer Lara qui erre avec une sorte de bouclier et d’armure. Comme si la distance et le silence qui sont créés ne sont pas le fait d’une fatalité (celle de la mélancolie et de l’amertume), mais le fait d’un excès de froideur. La photographie ne propose pas vraiment un contrepied à la toute première scène, elle est simplement naturaliste au possible, laissant la banalité du quotidien défiler. Mais après tout, n’est-ce pas ce qui échappe complètement à Lara ? Peut-être, lorsqu’on s’aperçoit que les dialogues sont remplis de vie, malgré la froideur de la photographie. Comme si le cadre et l’écriture proposent une résistance à la mise en scène désabusée, dans une photographie du j’en-foutisme propice à une forme de renaissance.


LARA JENKINS (Lara)
Réalisation Jan-Ole Gerster
Scénario Blaz Kutin
Casting Corinna Harfouch, Tom Schilling, Volkmar Kleinert, Rainer Bock, André Jung, Gudrun Ritter
Pays Allemagne
Distribution KMBO
Durée 1h38
Sortie 26 Février 2020