La mort de Staline

Le geste le plus attendu autour de ce film, qui prouve à quel point il est nécessaire de le voir, est évidemment la censure des russes. LA MORT DE STALINE est une satire politique pure, se concentrant sur une période histoire sombre. Le film commence délicatement, sur un concert musical. Puis, l’absurde s’enclenche soudainement et tout raisonnement possible s’envole. Juste par un coup de téléphone de Staline, le film se met à dérégler le récit et les comportements. Il ne pouvait y avoir d’autre meilleur acteur que le génial Paddy Considine, pour exprimer ce changement soudain d’attitude. Concentré au début, il sombre soudainement dans la panique et l’agacement après ce coup de téléphone. Puis arrive la loufoquerie totale. Cette séquence initiale est un portrait décalé et incisif de l’ambiance du pouvoir. Le créateur de VEEP et de THE THICK OF IT est tout aussi incisif que dans ces deux séries télévisées.

Toutefois, le film réussit tout de même à mélanger son ton décalé et la gravité qu’il explore. En effet, il ne faut pas oublier que Armando Iannucci est ici dans la satire politique, il ne peut donc être que dans la comédie. LA MORT DE STALINE réussit à s’emparer de l’angoisse / la peur exercée par le pouvoir. Avec une musique le plus souvent utilisée dans ces moments graves, le ton tragique est dressé par une esthétique sombre et un montage très dynamique (comme une urgence) avec une caméra très en mouvement (l’immersion dans une oppression au temps resserré). En parallèle, le ton décalé est plus posé : davantage de plans fixes, de légers mouvements de caméra et des comportements plus fluides. Ce mélange entre la satire et la gravité, c’est évidemment la définition de l’humour noir (un humour noir très britannique).

Rire de tout, c’est possible. Armando Iannucci en fait la preuve ici, notamment avec de nombreuses répliques délicieuses ; on n’en citera qu’une : « Allez chercher l’un des meilleurs médecins ! » – « On les a tous tué ou envoyé au goulag ». Le cinéaste a aussi le goût pour une mise en scène burlesque, avec des postures caricaturales, ou des situations presque chorégraphiées qui donnent lieu à un malaise. Le film n’a alors aucune intention d’être une dénonciation d’un régime, ou d’explorer la terreur d’un régime. Il y a évidemment un côté tragique, parce que le cinéaste en a besoin pour justifier les motivations de ses personnages. Ainsi, LA MORT DE STALINE devient une sorte de Iznogoud, et pour aller plus loin : des bouffons qui ont le deuil rapide et retournent à la cruauté pour prendre la place du grand chef. La meilleure scène du type est celle où les sbires de Staline découvrent et tentent de déplacer le corps de celui-ci.

Difficile de reprocher au film d’être choral, tant l’argument sert parfaitement l’esprit loufoque de sa mise en scène. Avec un sens de la temporalité parfait, Armandi Iannucci assure un timing rigoureux entre toutes les branches de son récit. Dans ce timing, le cinéaste réussit à créer le brouillard complet dans la direction prise, un flou semblable au pouvoir après la mort de Staline. Ainsi, LA MORT DE STALINE ressemble à un ballet où les bouffons sautent d’espaces en espaces, font des chassés-croisés dans chaque salle et couloir. La force de la mise en scène est de se concentrer / se focaliser sur les petites confrontations entre les sbires, qui cherchent à prendre la place tant convoitée de Staline. Cela donne de multiples « duels » et une ambiance qui se renouvelle sans cesse.

LA MORT DE STALINE n’est peut-être pas un film très esthétique, mais Armando Iannucci arrive tout de même à bien intégrer son récit et ses ambiances dans des images agréables. Là où la mise en scène et le montage se mêlent pour arriver à passer rapidement de l’absurde à la gravité (et inversement), l’esthétique est n’est pas liée à ces éléments. L’esthétique permet de confondre la loufoquerie avec la cruauté, aussi bien qu’elle forme un ensemble de symboles. Dans l’esthétique, on y retrouve l’irrévérence et l’extravagance des décors, mais surtout le cadrage qui permet de distinguer les deux. Il s’agit surtout de préserver une esthétique qui donne une illusion, celle où la bataille en coulisses se cache, et où l’image du pouvoir doit rester intacte. De cette façon, Armando Iannucci ne nuance pas son esthétique, il la préserve pour mieux la détourner, sans faire d’excès dans le burlesque ni dans la tragédie.

LA MORT DE STALINE (The death of Stalin)
Réalisation : Armando Iannucci
Casting : Steve Buscemi, Simon Russell Beale, Jeffrey Tambor, Paddy Considine, Rupert Friend, Jason Isaacs, Olga Kurylenko, Michael Palin, Andrea Riseborough, Adrian McLoughlin, Jonathan Aris
Pays : France, Canada, Royaume-Uni
Durée : 1h48
Sortie française : 4 Avril 2018

4 / 5