La cordillère des songes

Le nouveau film de Patricio Guzman, cinéaste important et respecté au Chili, est toujours aussi ambitieux que les précédents. Point nécessaire lorsque l’on démarre ce documentaire : le cinéaste a quitté son pays natal il y a plus de quarante ans, lors du coup d’état militaire. Depuis, il vit en Espagne mais continue de s’intéresser et de parler de son pays. LA CORDILLÈRE DES SONGES est donc déjà fascinant par son prisme, où Patricio Guzman possède désormais un regard extérieur sur l’Histoire de son pays natal. Toutefois, le cinéaste ne fait pas un documentaire purement historique, il ne s’agit pas d’un film historique. Certes le documentaire parle et interroge beaucoup sur le passé du Chili depuis la prise de pouvoir de Pinochet, mais Patricio Guzman met ce récit en miroir avec une autre idée, purement cinématographique.

Comme l’indique le titre du film, il s’agit d’abord de paysage, d’un lieu, d’un pays. Le cinéaste filme avec fascination et curiosité le paysage de La Cordillère des Andes, évoqué comme « plus horizontal que vertical ». Un paysage à part, qui s’érige à côté et autour des lieux de vie des chilien-ne-s. Mais ce paysage est très mystérieux, comme le disent des hommes qui travaillent au sein même de la cordillère (que ce soit pour extraire de la pierre, ou autre). Il y a donc, dans les images du cinéaste, à la fois un rapport physique et un rapport abstrait entre l’humain et le paysage. Et bien au-delà de ce geste, Patricio Guzman filme pleinement la cordillère dans des plans fixes, dans des travellings lents, dans des gros plans. Le cinéaste interroge également des habitant-e-s locaux sur leur rapport à la cordillère. Ainsi, le cinéaste filme la représentation, la sensation, la composition multiple, la contemplation de ce paysage grandiose. Il faut pourtant remarquer que le cadre ne s’attarde pas à capter que la beauté du paysage, car le cinéaste filme aussi les fissures, les trous, l’abstraction, les sinuosités, les terrains abandonnés, etc… qui composent la cordillère.

LA CORDILLÈRE DES SONGES n’est pas qu’un film de paysage, ce serait finalement long et répétitif comme geste. Patricio Guzman livre également un film très intimiste, par rapport à lui mais aussi par rapport aux personnes qu’il rencontre. La Cordillère des Andes est filmée et évoquée tel un personnage supplémentaire, infini et observateur de la vie humaine, qui peut raviver des souvenirs et des secrets. D’où l’intégration intéressante de plusieurs images d’archives au montage, car le documentaire est aussi un beau morceau d’Histoire du Chili. Malgré cela, Patricio Guzman a cet éternel tic de certains cinéastes documentaristes de garder au montage des interviews frontales (il va falloir, un jour, dépasser et s’affranchir de ce geste). Et même si la présence de sa voix en off pour créer la narration (une voix presque apaisante et romanesque), le cinéaste ne peut s’empêcher parfois d’être beaucoup trop explicatif et pédagogique sur l’Histoire du Chili, tel un déroulé de faits et d’anecdotes.

Heureusement, LA CORDILLÈRE DES SONGES a la présence éternelle et vitale du paysage mystérieux de La Cordillère des Andes. Grâce à sa curiosité, Patricio Guzman filme l’importance, l’influence et la présence de ce paysage partout dans le quotidien des habitant-e-s locaux : aussi bien dans le travail physique, que dans les bouts de pierre qui composent les rues et les façades des maisons, jusqu’à leur utilisation dans des œuvres artistiques. La Cordillère des Andes est donc présentée comme un témoin immortel de l’Histoire, évoquant à la fois la dramaturgie de l’espace et de l’humanité. Grâce à un montage très rigoureux et jamais dans le sensationnel de la tragédie historique, le film crée un écho entre le passé et le présent, grâce à l’observation intemporelle du paysage de la cordillère. Patricio Guzman fait alors le rapprochement entre un paysage figé qui contemple le mouvement de l’humanité. Le documentaire nous permet de contempler un paysage en train d’observer les mouvements de l’Histoire. Belle tragédie.


LA CORDILLÈRE DES SONGES (La cordillera de los sueños)
Réalisation Patricio Guzman
Pays Chili, France
Durée 1h25
Sortie 30 Octobre 2019

4 / 5