Just Kids, de Christophe Blanc

Lorsque la fiction s’empare des émotions les plus brutes et des drames les plus difficiles, il est toujours délicat de ne pas tomber dans la tentation de dépasser la réalité. La fiction se doit de respecter ces émotions et ces drames. Si bien que le deuil dans JUST KIDS est traité avec ultra réalisme. Christophe Blanc ne cherche pas à avoir une fiction qui s’insère absolument partout, qui envahirait la mise en scène et le cadre. Au contraire, la fiction sert ici uniquement à créer des situations, à déplacer les personnages. Elle n’interfère jamais avec les comportements des personnages, ne cherchant qu’à explorer ces moments de joie et de douleur là où ils sont. Sans aucun artifice, se laissant porter par des paysages ordinaires non transformés, le réalisme de JUST KIDS montre la brutalité de responsabilités qui apparaissent soudainement et sans aucune préparation. Comme des personnages qui ne sont pas à bord du train d’une vie ordinaire, laissés sur les rails. Il n’y a aucune création d’espace (dans le sens transformation pour la fiction), car il faut apprendre à vivre autrement dans ces espaces quotidiens. Ce ne sont pas les espaces qui changent, mais bien leur appréhension, donc le comportement.

Sauf que Jack et Mathis sont livrés à eux-mêmes. Leur sœur Lisa décide de fuir, de tourner la page en partant dans le sud. C’est la seule qui trouve un quelconque mouvement vers l’avenir, vers ce monde adulte qui les attrape de force. Mais comme la voiture que conduit Jack, la saleté a du mal à partir, les poussières et le désordre ne peuvent être effacés si facilement. Puis comme la voiture télécommandée à distance, les deux frères n’ont rien ni personne pour les guider dans cette nouvelle vie. Et donc, de manière assez automatique et inconsciente, Jack reste braqué vers le passé. Parce que ni lui ni son frère Mathis n’ont de guidage pour savoir dans quel sens il faut aller. Que ce soit dans la mise en scène de ces corps solitaires, ou avec un cadre qui les accompagne, JUST KIDS montre des personnages à la lisière entre la jeunesse et le monde adulte, avançant dans le brouillard. Surtout dans les espaces extérieurs, où les personnages n’avancent que vers l’arrière-plan s’ils sont accompagnés par quelqu’un. Sinon, les mouvements s’effectuent toujours vers le cadre ou ses extrémités horizontales. Au sein même de ce brouillard et de cette recherche de direction, Christophe Blanc explore une instabilité chaotique, celle qui dévore les protagonistes les empêchant de pouvoir se saisir de l’horizon.

Il y a même quelque chose de clinique dans ce brouillard, dans ce manque de sens. Lisa semble être celle qui l’a rapidement compris, fuyant pour s’affranchir complètement de la désillusion d’un avenir sans figure parentale. Alors que Jack et Mathis sont confrontés à cette désillusion, qui s’empare d’eux à chaque moment de leur nouvelle vie. Lisa, loin physiquement du brouillard, essaie de créer quelque chose. Jack encaisse les coups, pendant que Mathis cherche encore à grandir et explorer le monde (avec son appareil photo qu’il emmène partout). Mais c’est une jeunesse pas du tout terminée, qui ne peut pas faire semblant d’être responsable. Le traumatisme est si grand que le cadre montre leur impuissance face à cette jungle (le monde adulte). Les émotions se braquent, sauf pour Mathis (il a 10 ans), et cette jeunesse égratignée vive tente de trouver une respiration dans tout ce qu’elle peut. Alors que Jack cherche à recoller des morceaux douloureux du passé, Mathis explore le monde avec une fabuleuse énergie et sens de l’amusement. Toutefois, les deux points de vue s’entrechoquent et créent une barrière permanente avec l’avenir.

Pourtant, peu importe le nombre d’espaces traversés, il y a un sentiment de sur-place dans la mise en scène de JUST KIDS. L’accablement est le maître mot de la tonalité, tout comme la violence généralisée est le maître mot de l’ambiance. L’ultra réalisme du film provoque instantanément une austérité qui se propage dans toutes les séquences et dans tous les espaces. La violence et l’accablement sont compréhensibles, mais il y a une sorte d’étau qui resserre les personnages sur eux-mêmes. À aucun moment, ni la mise en scène ni le cadre ne cherchant à effleurer l’environnement qui gravite autour de Jack et de Mathis. Il y a quelques instants où le film semble vouloir respirer, mais comme l’attitude de Jack avec Mathis : la respiration est trop souvent bridée. Ce resserrement provoque un étouffement, car les protagonistes semblent complètement déconnectés du reste du monde. Alors que c’est ce reste du monde, tout cet environnement qui gravite autour d’eux, qui est une violence clinique et brumeuse envers eux. Il est fort dommage que le film se refuse à s’attarder sur ces quelques respirations, et ainsi à voir la douleur qu’il y a à interagir avec.


JUST KIDS ;
Dirigé par Christophe Blanc ;
Écrit par Christophe Blanc, Pierre Erwan Guillaume, Beryl Peillard ;
Avec Kacey Mottet Klein, Andrea Maggiulli, Anamaria Vartolomei, Angelina Woreth, Lou Lambrecht, Ahmed Abdel Laoui, Yves Caumon, Pierre Vial ;
France / Suisse ;
1h44 ;
distribué par Rezo Films ;
5 Août 2020