Jojo Rabbit

Pour parler de l’horreur et de l’absurdité de la guerre, JOJO RABBIT s’inscrit dans la comédie loufoque. Taiki Waititi place son récit durant la Seconde Guerre Mondiale, en pleine Allemagne gouvernée par les nazis. Le cadre suit le même chemin que le jeune JoJo « JoJo », qui commence par l’aprentissage dans la jeunesse hitlérienne, pour ensuite prende part au conflit, jusqu’à la fin de la guerre perdue par les nazis (ceci n’est pas un spoiler, vraiment). À l’instar de nombreux films depuis des décennies, tourne en dérision et caricatures les personnages nazis, tout en chargeant d’émotions tous les autres. C’est le pouvoir de la comédie pour parler de la cruauté humaine, où l’on peut rire de tout. Ainsi, la comédie est un autre angle de lecture vis-à-vis de l’atrocité de la guerre, où la dimension satirique permet aussitôt de se concentrer sur la dimension humaine du récit. Discours de tolérance, donc, où Taika Waititi se place à hauteur d’enfants pour déconstruire les images de l’endoctrinement et construire les images du pacifisme rempli d’émotions.

S’il faut bien reconnaître quelque chose au cinéma de la comédie, c’est sa capacité depuis ses débuts à nous faire rire par des attitudes où le cadre crée plusieurs événements dans un seul champ. Le but étant, dans la comédie, d’intégrer différents niveaux dans l’espace visible. La comédie fonctionne par le dysfonctionnement dans un environnement que l’on reconnaît. Elle ne consiste pas à créer un univers par dessus un autre, les deux n’étant par conséquent que des concepts. Toutefois, toute la première partie de JOJO RABBIT est une installation d’un univers loufoque, où nous devons systématiquement accepter l’absurdité des attitudes et des discours. Ce n’est pas une idée de mise en scène, ou même une idée de cadre, qui rend une scène absurde. Parce que tout est déjà installé comme une évidence. Sauf qu’au Cinéma, il n’y a rien d’évident, il faut tout construire par le langage formel. Comme dans l’introduction du personnage de Sam Rockwell, lorsqu’il utilise une arme pour impressionner les enfants : les coupes du montage forcent le caractère comique dans un enchaînement de postures burlesques, telles des vignettes indépendantes, au lieu d’en faire un gag unique dans un seul plan.

C’est bien le problème de toute la première partie du film, où Taika Waititi arbore un cadre très souvent fixe, laissant la mise en scène jouir d’elle-même, de ses corps aux postures burlesques. Sauf que pour dénoncer la cruauté de l’humain et de la guerre, il faut qu’elle soit un minimum présente. Mais le cinéaste est tellement enfermé dans son ton comique, qu’il n’y a que les gags dans l’instantané qui comptent. La mise en scène et le cadre ne cherchent jamais à aller au-delà de ces gags, si bien que l’ensemble de la première partie n’est qu’une affaire de punchlines et d’intellectualisation de la représentation. Chaque gag n’a pas de portée a posteriori, ne fonctionnant uniquement dans un temps arrêté du gag même. L’obsession admiratrice et désespérée du jeune JoJo, dans cette première partie, est aussitôt rattrapée par une série de gags et de punchlines. Une représentation toujours bien lourde, comme la présence clownesque inutile de Taika Waititi dans la peau d’Adolf Hitler, où l’imaginaire du jeune JoJo n’est finalement qu’une vaste blague qui a davantage l’air d’une private joke dont nous n’avons pas besoin.

À tel point que, lors de la fameuse rencontre entre le jeune JoJo et la jeune Elsa, Taika Waititi s’amuse même à détourner le cinéma d’horreur. Peu importe la situation, le cinéaste propose que tout est absolument propice à la comédie. Ce n’est donc plus la comédie qui s’invite dans une ambiance, mais un contexte qui s’invite dans un univers constamment loufoque. En cela, JOJO RABBIT n’a toujours qu’un seul niveau de lecture : le discours humain dans l’environnement purement comique. Très loin du rapprochement que beaucoup lui font de LE DICTATEUR de Chaplin, où le génie de celui-ci consistait à affronter indirectement le monde cruel en y alternant la poésie humaine avec des gags purement visuels. C’est l’idée de ravager la cruauté de l’intérieur, et non de la balayer par la juxtaposition de l’alternative comique. Heureusement, il y a toutes les scènes de dialogues entre le jeune JoJo et la jeune Elsa, d’une très belle innocence et d’un amour fou pour les contes enfantins.

Un film qui montre que la comédie suffirait à ce qu’un discours basique suffirait à avoir une quelconque ambition cinématographique. Feel-good movie tout juste sympathique, JOJO RABBIT ne montre aucune ambition esthétique et se contente d’un discours de surface pour servir ses gags à répétition. Pourtant, la seconde partie du film semble vouloir proposer une fable initiatique plus tragique. Plus attentif à partir d’une scène de home invasion, le cadre se tourne désormais vers des sensations mitigées chez JoJo. Comme si, à partir du moment que la tragédie intime s’installe, le jeune garçon entre dans une phase de perdition personnelle et d’errance dans un environnement chaotique. Il y a un rapport à la solitude qui s’installe progressivement dans cette seconde partie, où le cadre ne cesse de marquer une opposition dans la mise en scène, entre la naïveté de JoJo et le chaos monstrueux du monde qui l’entoure. Dommage qu’il ait fallu subir plus d’une heure de sketchs pour en arriver à cette seconde partie tragiquement poétique.


JOJO RABBIT ; Écrit et Réalisé par Taika Waititi ; D’après une nouvelle de Christine Leunens ; Avec Roman Griffin Davis, Thomasin McKenzie, Scarlett Johansson, Taika Waititi, Sam Rockwell, Rebel Wilson, Stephen Merchant, Alfie Allen, Archie Yates ; États-Unis ; Distribué par 20th Century Fox France ; 1h48 ; 29 Janvier 2020