Jimmy’s Hall

Réalisé par Ken Loach. Écrit par Paul Laverty. Avec Barry Ward, Jim Norton, Simone Kirby, Brian O’Byrne, Andrew Scott. 105 minutes. Royaume-Uni. Sortie française le 02 Juillet 2014.

<< Evocation du destin de Jimmy Gralton, leader communiste irlandais qui émigra aux Etats-Unis en 1909, avant de revenir dans son pays et d’y créer en 1921 un dancing. A cause des réunions politiques organisées dans ce lieu, les communistes et l’Eglise catholique s’affrontèrent violemment. Jugé indésirable, Jimmy Gralton fut déporté en Amérique en 1933 -cas unique dans l’histoire du pays. >>

Vingt ans que Ken Loach, réalisateur britannique confirmé, et le scénariste Paul Laverty travaillent ensemble. Après la palme d’or LE VENT SE LEVE (avec Cillian Murphy) en 2006, Ken Loach revient avec un nouveau film historique. De nouveaux faits réels, trouvés par hasard, pour continuer une oeuvre qui suit le même discours. C’est ce qui effraie et consterne certaines personnes. Même chez certains fans du réalisateur, on sent une sorte de redondance avec ce film. Diable, pourquoi Ken Loach devrait changer sa manière de faire du cinéma ? Il l’a répété maintes fois lui-même. Ce qui le motive à faire des films, ce sont des propos militantistes dans une réalité sociale honteuse. JIMMY’S HALL est comme un résumé de toute la carrière de Ken Loach. Le cinéaste continue sur ses idées socio-politiques, mettant en avant les ouvriers et pauvres.

Le constat que l’on peut faire avec JIMMY’S HALL, c’est qu’il pourrait presque s’agir d’un sequel au film LE VENT SE LEVE. Retour sur les confrontations civiles en Irlande. De plus, le film se situe seulement dix ans après la palme d’or 2006. Les événements de la guerre civile sont évoqués, les personnages de ce film l’ont vécu. C’est même la base de l’exposition : Jimmy Gralton revient après un exil suite à cette guerre civile. Sauf qu’il est toujours aussi mal considéré par de nombreuses personnes. Et notamment par l’Eglise. La manipulation de l’éducation, des pensées et de la culture par l’Eglise n’est pas sans évoquer l’époque moderne. Où les médias sont le centre de tout. Ceux qui inculquent quoi penser à propos de multiples événements.

Pour cela, Ken Loach a choisit de retracer un morceau de la vie de Jimmy Gralton. Ce personnage a réellement existé, et le cinéaste s’en approprie l’histoire pour remplir son vase militantiste. Ce qui est intéressant dans ce film, c’est la portée apportée à Jimmy Gralton. Ce personne ne mâche pas ses mots, va directement à la confrontation avec ses rivaux, agit en spontané, prêt à recevoir les coups. Il serait comme un double de Ken Loach. Celui qui, malgré un climat socio-politique tendu et à la dérive, s’agit pour rendre le monde meilleur.

En cela, le film se transforme en un manifeste. Ken Loach y peint toutes ses convictions. Mais surtout, et comme toujours, sa colère de militant. Ce qui est nouveau pour un film historique de Ken Loach, c’est le double visage du manifeste. Depuis quelques années, notamment depuis LOOKING FOR ERIC, et davantage avec LA PART DES ANGES, Ken Loach se penche sur l’humour. Son précédent film était une comédie entière, tandis qu’ici, elle s’alterne avec la colère militantiste habituelle. Ken Loach apaise donc sa colère, son propos socio-politique. Le film se montre plus gentil que, par exemples, RAINING STONES ou même SWEET SIXTEEN. L’ambiance est souvent bon-enfant, les bouleversements narratifs sont légers. Ken Loach se repose sur une linéarité du récit, pour mieux apprécier le contexte historique.

La reconstitution est correcte. La musique est entraînante, les danses hypnotiques, l’esthétique envoûtante. On sent que Ken Loach a apporté une très grande importance à ces éléments. Certains s’interrogent sur l’utilité d’un tel film, où le cinéaste britannique devient redondant. Loin de moi de parler de politique des auteurs, même si le concept est juste. Ce qu’il faut retenir d’un tel film, c’est qu’il est important pour les convictions d’un cinéaste. Et qu’y a t-il de plus important qu’un cinéaste qui filme sa vision du monde ? C’est ce qui crée le langage cinématographique. Avec ce détail acquis depuis longtemps dans sa filmographie, Ken Loach devient plus gentil dans son propos. Ainsi, il se concentre davantage qu’auparavant sur la reconstitution historique.

Ce qui est fréquent dans la filmographie de Ken Loach, ce sont les mots tranchants des scénarios de Paul Laverty. Nous tenons là l’un des plus grands scénaristes du monde. Capable d’épurer le texte, pour rendre le propos implicite (ROUTE IRISH), comme d’être explicite au plus haut point. Dans le cas de JIMMY’S HALL, les monologues de Jimmy Gralton contiennent toute l’essence du film. Et même encore plus grand, elles contiennent la base du cinéma de Ken Loach. Avec les mots « pauvres », « ouvriers », « fascistes », « ignorants », « manipulation », « liberté », etc… impossible de tout retenir. Et à chaque monologue grandiloquent, Jimmy Gralton est isolé dans le cadre. Soit placé en hauteur (la charrette), soit pris à part par un champ/contre-champ.

La frontalité typique de Ken Loach fait toujours ses merveilles. On connait le style loachien par coeur. La caméra portée, des travellings spontanés, la recherche des sensations instantanées, etc… Le style loachien se porte essentiellement sur la recherche du réalisme. Dans sa volonté de se confronter au contexte socio-politique actuel, Ken Loach ne cherche qu’à faire entrer le spectateur dans cet univers si cruel. Dans JIMMY’S HALL, il faudra remarquer le refus d’utiliser des gros plans. Ken Loach, dans ce manifeste résumant ses idées et sa carrière, veut se faire plus discret. Souvent éloigné des personnages, comme un témoin silencieux qui n’en pense pas moins. Se faisant vieux, le cinéaste britannique se repose sur ses connaissances, sur ses acquis passés. Pour mieux les répéter intact comme un soldat militant qui n’a plus tellement de pouvoir, devant cette réalité honteuse qui ne s’améliore pas.

Dans sa recherche de réalisme, Ken Loach utilise toujours sa célèbre direction d’acteurs figée. On sait que Ken Loach ne donne le scénario de la scène aux acteurs que le jour même du tournage. Il recherche des sensations réelles chez les acteurs. Il cherche la vérité de l’émotion, la vérité du comportement humain dans de telles situations. Nous pouvons prendre exemple deux scènes opposées. Tout d’abord, celle des coups de fusils sur le dancing, alors qu’un événement s’y déroule. Tout le monde panique, se baisse face contre le sol, et Barry Ward agit en meneur qui a tout de même peur. Sa façon de rester en recul à l’ouverture de la porte d’entrée définit parfaitement ce que recherche Ken Loach. Il y a également la scène de l’arrestation de Jimmy Gralton. Il monte à l’étage pour récupérer des affaires, les officiers de police l’attendant sagement en bas de l’escalier. Pendant ce temps, la mère Gralton propose un thé aux officiers. Elle s’interroge sur leur action, envers un ami d’enfance. Pour ne rien dévoiler de plus, la scène finit dans l’ironie complète. Savoureux.

Ken Loach est aussi sur d’autres terrains. En tant que cinéaste, le montage est une question essentielle. Avec une musique telle que le jazz, impossible de pas l’intégrer autre part. Le montage est très chorégraphique. Malgré sa forme plutôt académique (la frontalité nous le fait souvent oublier dans le style loachien), le film utilise de nombreux raccords pour se rythmer. Pas de place pour des ellipses très soulignées. Tout s’enchaîne comme dans une danse. Et il suffit d’une marche, d’un signe, d’un regard ou d’un pas de danse pour rythmer une scène. Quand le cadre passe d’un plan moyen à un gros plan sur des pieds qui dansent. Ou quand un plan d’ensemble sur les alliés de Jimmy Gralton passe sur un plan américain de lui avançant tel un leader. Et j’en passe des meilleurs.

Enfin, si le rythme est autant chorégraphié, si le manifeste est à double visage (colère et gentillesse), si la frontalité fait davantage attention à la reconstitution historique, etc… il y a une grande raison. Certainement le détail le plus important du film. Ce qui a à retenir en priorité devant ce film. Ken Loach et ses idées se répètent, car rien n’avancent dans le monde moderne. Ainsi, Ken Loach donne une place considérable à la jeunesse. Il porte une estime particulière à cette jeunesse. Avec ce film, le cinéaste britannique dit qu’il croit en la jeunesse d’aujourd’hui pour faire avancer le monde. Jimmy Gralton et Ken Loach, tels des guides dans cet univers socio-politique, montrent la voie à une jeunesse dans laquelle ils placent tous leurs espoirs. Tel le dernier plan, bouleversant.

4 / 5
À lire aussi ⬇️

Devenez contributeurs/rices. 👊

Rejoignez un magazine libre et respecté. Depuis 2004, Onlike recense pas moins de 46 contributeurs indépendants dans ses colonnes,

en savoir plus
NEXT ⬇️ show must go on