Il mio corpo, de Michele Pennetta

Il y a un sous-entendu spirituel dans le titre du film, prenant pour référence le passage dans une messe où il faut prendre et manger le corps du Christ. Pourtant, le film de Michele Pennetta ne cherche jamais à parler de spiritualité, bien qu’il y ait quelques éléments pouvant alimenter cette impression. L’un des deux protagonistes trouve une statue de la vierge Marie dans une décharge, l’autre a un travail dans une église. Le seul geste concret de tournage est de suivre les corps d’Oscar et de Stanley, dans leur vie quotidienne en Sicile. IL MIO CORPO est un croisement de deux portraits, avec pour thématique la misère dans un lieu pourtant idéalisé. Dans cette île, Oscar est l’un des enfants d’une famille qui vit dans la pauvreté, récupérant de la ferraille avec son père pour gagner un peu d’argent. De l’autre côté de la ville, Stanley est un nigérian qui enchaîne les petits boulots grâce au prêtre de la paroisse. De ces deux portraits croisés, Michele Pennetta explore ce que cache le soleil de Sicile : des êtres invisibles qui éprouvent un même malaise dans une société et un paysage qui n’ont rien à leur offrir.

Dans un ton pas du tout optimiste, alors que la photographie retranscrit la beauté et la chaleur des paysages, Oscar et Stanley sont comme des personnes qui creusent encore et encore, pour trouver la petite chose qui leur apportera de la joie et de l’espoir. Un portrait croisé, mais tout de même deux états d’esprits différents qui sont mis en miroir sur cette problématique. Parce qu’Oscar a une famille, tandis que Stanley est voué à sa solitude de migrant. Le premier a des personnes avec qui échanger et apprendre, alors que le second est le plus souvent dans le silence. Toutefois, malgré les deux états d’esprits, Michele Pennetta crée une seule et même ambiance, pour bien montrer que – peu importe la condition – ils sont tous dans la même difficulté avec les mêmes désirs. C’est dans cette dualité entre misère et désirs que le cinéaste crée le paradoxe de son esthétique. Il filme les êtres avec beaucoup de poésie, que ce soit dans les relations entre humains, dans leur détermination, ou dans leur joie de vivre. Ce sont des personnes sans véritable colère, qui se subliment par leur énergie et leur façon de ne jamais subir l’espace. Parce qu’à côté de cette poésie humaine, il y a un réel totalement désabusé. Les êtres sont beaux, dans leurs gestes pourtant si anodins, mais ils sont entourés de déchets, de ruines, de silence.

Ainsi, derrière la noirceur de la misère, Michele Pennetta crée le paradoxe de la beauté. Il n’y a jamais de frontalité brute avec les difficultés rencontrées par Oscar et Stanley. Au contraire, ce sont des images solaires qui apparaissent. Le cinéaste sublime l’environnement dans lequel ils vivent, non pas pour restituer l’idéalisation de la Sicile, mais bien pour restituer la beauté qu’il voit dans ces êtres qu’il suit. Malgré la pauvreté de l’espace, c’est la chaleur du soleil et la profusion des couleurs qui traverse toutes les images. Même sans jamais être optimiste, IL MIO CORPO fait résonner dans le cadre les désirs de vie meilleure d’Oscar et de Stanley. Cette photographie solaire permet d’ouvrir les mouvements, d’accorder de la liberté, de percevoir une énergie constante, de créer de l’empathie pour ces êtres abandonnés par la société. La réalité est déjà bien assez crue pour eux, la caméra le montre constamment avec leur misère quotidienne, le cinéma permet donc de passer de la chronique ordinaire à un conte chaleureux.

La beauté des paysages, qui est une projection de l’intériorité des êtres (le paradoxe beauté / souffrance), est ce quelque chose qu’il est impossible d’atteindre, de non palpable, de presque irréel. C’est pour cela que, malgré cette sublimation, les espaces sont tous aussi silencieux et désertiques les uns que les autres. Que ce soit dans les plaines, dans les champs, dans les rues des villages, …, tout espace semble figé dans le temps. Comme si le caractère solaire de l’environnement n’est qu’une perception qui reste dans le lointain, toujours repoussé peu importe le mouvement effectué. C’est alors que la misère et la beauté s’étendent tous deux en dehors des limites du cadre. Tout fait un seul et même corps dans la détermination et la résilience, dans un périmètre spatial (qu’il soit réel ou imaginaire) qui révèle petit à petit son aspect désolant. Grâce au croisement des portraits mais aussi aux mouvements constants des protagonistes, le cadre réalise comme une cartographie de la misère et de la beauté. Très rarement fixe, la caméra montre le mouvement aléatoire et chaotique dans un paysage sublime qui n’a plus rien à offrir, qui s’est arrêté de vivre. IL MIO CORPO a même une certaine vision onirique sur ce paradoxe dans un temps figé : l’image permet d’imaginer une direction pour les protagonistes, dans laquelle ils pourraient trouver un espoir caché de la perception ordinaire. La migration et la jeunesse seraient tout autant des fictions que le cinéma peut l’être (comme ici, en cherchant à sublimer des paysages dans un dispositif documentaire). De là se pose une question : le rêve est-il possible uniquement qu’avec la fiction, celle qui sublime la marginalité ?


IL MIO CORPO ; Dirigé par Michele Pennetta ; Italie / Suisse ; 1h20 ; Distribué par Nour Films ; Sortie le 26 Mai 2021