Fritz Bauer, un héros allemand

Réalisé par Lars Kraume.
Écrit par Lars Kraume et Olivier Guez.
Avec Burghart Klaußner, Ronald Zehrfeld, Lilith Stangenberg, Jorg Schuttauf, Sebastian Blomberg, Michael Schenk, Rudiger Klink, Laura Tonke.
Allemagne.
105 minutes.
Sortie le 13 Avril 2016.

En 1957, le juge Fritz Bauer apprend qu’Adolf Eichmann se cache à Buenos Aires. Les tribunaux allemands préfèrent tourner la page plutôt que le soutenir. Fritz Bauer décide alors de faire appel au Mossad, les services secrets israéliens.

Le film de Lars Kraume ne déroge pas à une certaine idée du cinéma allemand contemporain depuis le début des années 2000, peut-être depuis LE PIANISTE de Roman Polanski. Ce pan du cinéma allemand consisterait à empiler les films historiques sur la période nazi, avec plus ou moins de style, et dans une fonction soit entre la rédemption ou la catharsis. Deux ans après celui de Polanski, LA CHUTE sort dans les salles. S’en suit de nombreux longs-métrages, dont SOPHIE SCHOLL, LES FAUSSAIRES, LA VAGUE, HANNAH ARENDT, PHOENIX, LE LABYRINTHE DU SILENCE et dernièrement ELSER. A croire qu’il y a un besoin constant en Allemagne de continuer à se débarrasser de cette période, de refermer les plaies, de cicatriser les douleurs, d’offrir un devoir de mémoire pour les générations actuelles.

Le grand problème de FRITZ BAUER, UN HEROS ALLEMAND est son traitement : il tend à reprendre précisément le dernier point. Il insiste tellement sur ce point, que le long-métrage devient un moyen de pédagogie en soi. Il déroule les informations si facilement qu’il ne parvient jamais à sortir de son propre cycle autonome. Parce qu’en faisant succéder les situations ainsi, le long-métrage se regarde lui-même en tant qu’images historiques, et non comme un point de vue sur ces images. Celles-ci ne sont plus que des témoins d’une action passée.

Pourtant, le film se comporte avec un vrai sens du style. Quand ELSER choisit le film noir, LE LABYRINTHE DU SILENCE le thriller et PHOENIX le mélodrame, FRITZ BAUER est une sorte de polar qui dissimule ses éléments et ses indices partout, tel un puzzle qui se perturbe soi-même de l’intérieur tout en s’inquiétant de l’extérieur, du hors-champ. Cette version d’un polar trouve ses marques dans le fonctionnement du film d’espionnage, car les bouleversements sont nombreux et permettent au récit de ne pas tirer sur la linéarité (contrairement à ELSER ou HANNAH ARENDT, par exemples).

Mais contrairement à PHOENIX, dont les protagonistes sont la source même du portrait, la peinture sociale est ici déjà donnée avant que le « héros » n’entre en situation. Quand il faut toute la durée du film pour qu’un personnage subisse un unique bouleversement dans son intrigue personnelle, et une heure pour qu’il décide de faire un pas en avant, c’est qu’il y a un soucis avec l’impact des personnages dans le portrait de la société. Généralement ce qui fonctionne le mieux, c’est bien quand la petite histoire est au service de la grande, quand l’Histoire est vue par l’intime / le personnel (c’est pour cela que PHOENIX est un film à chérir). Or, le film de Lars Kraume est trop avare en regard individuel, ils apportent trop peu au déroulement du polar. L’esthétique est extérieure au récit intime, elle n’alimente que l’enquête historique et non le développement des personnages. Il s’agit là d’un fonctionnement binaire.

Les protagonistes ne sont que trop peu affectés par le déroulement des séquences, ne permettant jamais de créer l’élan suffisant à la catharsis énoncée. Même s’il y a un réel sens de la dramatisation de l’immatériel – la bureaucratie devient ici un vrai personnage qui fonctionne dans une lutte entre la moralité et la corruption –, le traumatisme n’est au contraire jamais personnifié. Cela avant tout à cause d’une mise en scène trop sage, trop tempérée. Parce qu’il veut garder ses éléments informatifs du film-dossier, Lars Kraume ne prend jamais de risques. A la limite de la staticité, la direction des comédiens n’engendre jamais une tension nécessaire au polar, qui a pourtant beaucoup à offrir à ce récit historique.

2.5 / 5