The Cut

Réalisé par Fatih Akin. Écrit par Fatih Akin, Mardik Martin. Avec Tahar Rahim, George Georgiou, Arsinee Khanjian, Akin Gazi, Numan Acar, Makram Khoury, Korkmaz Arslan, Anna Savva. Allemagne / France. 135 minutes. Sortie française le 14 Janvier 2015.

Il est toujours facile de déclarer la part d’intime dans un film que l’on réalise, d’affirmer un point de vue très personnel dans un sujet (plus ou moins) d’actualité. Je n’aime pas les comparaisons avec les films d’autres cinéastes, mais ici THE CUT subit le même regard salonnard que TIMBUKTU en 2014. Ce caractère bien-pensant en oubliant de laisser le classicisme de côté. C’est dans cette optique que se développe le film de Fatih Akin, et pourtant le pitch est fort intéressant. Mais son déroulement est trop basé sur des fondements traditionnels de la dramaturgie. Le pathos pour le pathos, ça devient rapidement dégueulasse à regarder.

La soupe aux oignons

Le pathos pour le pathos, dans THE CUT, se trouve dans la mise en scène (aussi dans la forme, mais on parlera plus tard). Il ne suffit que d’une seule scène pour analyser et comprendre tout le film. Celle où Nazaret (joué par Tahar Rahim, personnage principal) retrouve sa belle-soeur dans un camp de réfugiés, gisants près de la mort. Ce camp est tel un sanctuaire : les tentes sont comme des bâches trouées qui tiennent avec des bâtons, sous ces tentes il y a pratiquement rien, les réfugiés ont les vêtements arrachés et la peau qui ferait penser à la lèpre. L’arsenal des idées cheap est présente. Et c’est sans compter sur l’arrivée de Tahar Rahim. Il s’agenouille à côté de l’actrice (qui en fait des tonnes), pour finir s’asseoir derrière elle et la prendre dans ses bras. Sa tête est posée contre le torse de Tahar Rahim, et elle l’implore pour abroger ses souffrances. Tout le film s’adapte à traiter des situations de cette manière. Le héros qui sauve une jeune femme d’un viol se fait tabasser, les retrouvailles (évidemment, ça doit avoir un happy end !) sont datées de quarante ans, l’exécution pas si surprenante ne résulte que d’un survivant (notre Tahar Rahim, bien entendu, alors qu’on dit au revoir au génial Korkmaz Arslan), etc… la liste est bien trop longue.

L’odyssée du muet

Je me dois de parler tout de même de la contrainte dont subit le personnage de Tahar Rahim. Il devient muet, des suites de l’exécution « surprenante ». Dès cet instant, cela ouvre de nombreuses possibilités narratives ou de mise en scène. Sauf que, le héros malgré-lui poursuit tout naturellement son épopée (tel un Liam Neeson sans arme et sans expérience de combat), et n’est pas si gêné par le fait qu’il soit muet. Cet élément ne deviendra qu’un détail du récit, qui ne jouera jamais en faveur des événements narratifs. La perte de voix de Nazaret n’apportera rien à la mise en scène, ni à l’approche de ce qui entoure le personnage. Comme il est muet, autant se servir d’un mini carnet comme solution pour s’exprimer. Problème résolu, de retour à cette épopée tragique.

Même si Fatih Akin confirme qu’il s’agit du film le plus compliqué qu’il ait eu à réaliser, c’est certain qu’il ne parle pas du travail artistique. Les bouleversements narratifs sont vus à des kilomètres, et le film suit son cours dans une parfaite distanciation. Le film ne montre aucun contrôle de ses personnages, qui semblent être déjà enfermés dans un destin qui se retourne contre eux. La fatalité règne durant toutes les séquences du film, au point de contenir plusieurs longueurs très dispensables. De plus, le film continue de travailler sur cette fatalité peut importe où Tahar Rahim va. Ce qui est tragique, c’est que les lieux choisis dans l’intrigue n’ont aucune influence sur celle-ci. On comprend très rapidement que Cuba, Minneapolis, la Floride, … auraient pu être n’importe quel autre lieu. Les espaces sont anecdotiques, l’important est de construire le fond sur la frustration de la fatalité. Un petit exemple : Minneapolis tient en deux plans.

Y-a-t-il un pilote dans le montage ?

Dans sa forme, le film ne fait guère mieux. Je reviens sur la scène de la belle-soeur de Nazaret (Tahar Rahim). Quand Tahar Rahim est assis derrière l’actrice, et la tient dans ses bras, Fatih Akin commence un léger travelling avant. Bon, il n’est pas aussi affligeant que le travelling de KAPO. Mais il est autant décevant. L’émotion facile, la prise par la main du spectateur vers une sensation imposée, le cadrage d’une empathie forcée pour une idée qui se veut moralement bonne. La pénibilité de ces idées de découpage revient souvent dans le film. Que ce soit quand des acteurs sont filmés de dos (suppression de tout jeu au profit de l’ombre dramatique), quand les illusions sont des plans fixes avec les lignes qui ondulent, quand le champ/contre-champ devient l’objet qui confond le subjectif et la démonstration, quand les plans se répètent sans grand intérêt entre deux séquences, etc…

Entre la facilité de sa narration et la lourdeur de sa forme, le film ne fait pas d’excès sur son esthétique ou sur sa bande originale. On préférerait encore entendre des musiques piochées par-ci par-là dans la culture populaire, qu’entendre quatre fois la même chanson dans un même film. On aimerait également voir une vraie proposition d’ambiance, que la prétendue pression dans le fond diluant toute possibilité esthétique que peut offrir les différents lieux filmés. Le film frôle à de multiples reprises le ridicule, tellement son traitement est poussé dans l’artificiel. Chaque volonté de faire grandir son récit, et son personnage principal, vers un élément dramaturgique sonne faux. Ne parvenant jamais à décoller, le film s’essouffle très vite, devenant un gigantesque creux d’académisme.

1.5 / 5
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