Chouf

La vie dans un quartier sensible n’est pas de tout repos. Très jeune, on est confrontés à la violence de la rue, aux seringues dans les cages d’escalier, aux odeurs nauséabondes de poudre après une fusillade et aux incendies de voiture pendant l’été. La vie au quartier, c’est aussi du rap, des tragédies familiales, des vies brisées pour ceux qui ont troqué les bancs de l’école pour la fraîcheur des porches pour soit arrondir les fins de mois de maman ou s’acheter la dernière paire de Philipp Plein et aller en Thaïlande, voire avoir l’occasion de baiser. C’est une réalité que beaucoup de jeunes connaissent et dont certains ne s’en sortent malheureusement jamais.
Karim Dridi montre avec Chouf (« regarde » en arabe) cette vision tragique du monde ancrée dans l’actualité à travers la destinée de deux frères que tout oppose : un étudiant en école de commerce et un dealer à la rédemption impossible avec pour décor, Marseille, ville tristement célèbre pour ses sanglants règlements de compte et la gangrène de la drogue.

Le héros, Sofiane (poignant Sofian Khammes), voit son petit confort de vie d’étudiant en école privée s’étioler par la mort de son grand-frère. Ce drame familial va transformer progressivement le brillant étudiant BCBG en dealer notoire en quête de vengeance et de reconnaissance par des pairs dont il a tourné le dos quand il a quitté l’insanité du quartier pour la normalité de la grande ville.
Le film de Dridi, grâce à la force de ses protagonistes entre du sensible Sofiane baigné dans la violence d’un quotidien qu’il eut autrefois fui à sa petite-amie Najet (brillante Naila Harzoune), et ses amis partenaires de crime impitoyables, désinhibés, mal élevés, brisés et piégés dans l’engrenage de la criminalité : Reda, meneur sans foi ni loi, Marteau le meilleur ami tordu au bob vissé sur la tête (campé avec excellence par Zine Darar) et Gato (Foziwa Mohamed) représentede manière percutante la vacuité et la cruauté des jeunes de quartier dont la connaissance du monde est limité aux plaquettes, aux après-midi en bas des immeubles et surtout à quel point la frontière entre le bien et le mal est fine.

Un regard émouvant qui garantit des moments de rires mais aussi des instants épouvantables à la violence gratuite similairement à Boyz N’The Hood ou The Master, Chouf montre avec acuité l’instinct primaire de cette jeunesse en perdition, dépeinte parfaitement dans les paroles du légendaire « Mystère Et Suspense » de la Fonky Family où les paroles « Quand je quitte mes gars, qui dit que je vais les revoir ? » « Notre issue finale, seule l’avenir le dira. » deviennent un présage matérialisé de façon dramatique et cauchemardesque.

Chouf est un film noir, réaliste et terrifiant sur la descente aux enfers de ces jeunes que rien d’autre mis à part la mort ou la prison guette. On peut reprocher des longueurs dans la trame et l’agencement du scénario et parfois, une petite plongée dans la caricature (la mère qui réclame l’argent du loyer, marrante mais lamentable car elle s’inspire d’abrasives réalités), Dridi donne à son œuvre un regard incisif sur la répugnance de la vie de dealer et montre avec empathie l’humanité dans la déshumanisation de nos rues, mangées par la violence, l’intimidation, l’amitié trahie par les balles, la soif de pouvoir et l’illusion d’une vie meilleure par tous les moyens. Même si ces moyens impliquent l’infliction de la souffrance et le meurtre. Un brillant tableau.

4 / 5