Champagne (A l’américaine)

Bien avant de devenir le « maître du suspense », Alfred Hitchcock a sorti de multiples films qui ne proviennent pas de sa production. Payé par un studio pour écrire et réaliser telles idées, il n’apporte pas ce que l’on connaît davantage de son style. Il s’adapte à une histoire qu’il n’aurait surement pas traité du temps de VERTIGO ou de PSYCHO. Mais il faut voir ses premiers films comme une autre filmographie, comme si Hitchcock est ensuite devenu un autre réalisateur. La restauration du film (datant de 2008) fait bien ressortir les intentions du cinéaste britannique.

On peut y voir une Betty Balfour qui représente bien l’énergie féminine des années 1920. Avec sa coupe de cheveux en boucles et une ténacité sur l’envie d’être amoureuse, elle rayonne par ses costumes, son sourire et sa joie de vivre. Elle fait partie de ces jeunes femmes des années 1920 qui décident de dicter leur propre vie, de devenir autonome : il faut voir comment chaque personnage masculin est automatiquement repoussé dans le film. Il n’y a plus le soucis de l’image que l’on renvoi, du consentement d’autrui (elle s’en joue même lors d’une fête).

Il s’agit donc d’une comédie bien ancrée dans les années 1920 (les Roaring Twenties en Grande-Bretagne, les Années Folles en France). Le terme de rugissement (« roar » en anglais) est nettement approprié : que ce soit dans la joie ou le malheur, dans l’amour ou l’humiliation, les attitudes sont grandiloquentes et poussent à sortir de nombreuses punchlines. Même si ce n’est pas une comédie faite pour avoir un fou rire, pour rire à chaque scène, il s’agit plutôt d’un divertissement joyeux qui livre une satire visant à tourmenter les plus riches. Mais plutôt qu’aller en profondeur de ce thème, il fallait s’adapter au public britannique de cette période, qui était plutôt friand de la célébration du glamour (voir les nombreux plans où les détails de la beauté et du plaisir sont mis en valeur).

Toutefois, l’esthétique n’est pas nécessairement toujours au rendez-vous. Même si Alfred Hitchcock montre un grand intérêt pour le montage, et que chaque plan est réalisé dans le but de déterminer le suivant, la forme est trop adaptée. L’esthétique est trop modeste, trop rudimentaire pour réellement porter un langage formel. Hitchcock utilise avant tout sa mise en scène, avec laquelle il peut jouer sur les attitudes et le déplacement. L’esthétique est tout de même vivante, pleine de bonne volonté, mais trop propre et sans aucun risque. Mis à part quelques très intéressantes fulgurances qui appuyent des attitudes satiriques, l’esthétique ne fait que s’adapter à une caméra témoin.

Cela n’enlève en aucun cas le génie de Hitchcock pour gérer les espaces. Dans chaque lieu où les actions se déroulent, il arrive déjà à créer plusieurs tons et ambiances. Le cinéaste prouve déjà qu’il n’a pas besoin de beaucoup d’espaces pour montrer beaucoup de choses. Le muet convient si bien à cette gestion de l’espace : en si peu de lieux, c’est le comportement irréprochable des comédiens qui fait basculer le ton et l’ambiance dans un autre genre. On passe si aisément du mélodrame à la comédie, que les espaces s’expriment par eux-mêmes / deviennent autonomes selon où est mis l’accent.

Le seul grand soucis dans ce film est lorsqu’il s’approche de sa fin. Dès l’arrivée de la séquence du cabaret, de cet emploi que trouve la protagoniste, le film s’emmêle dans la confusion. Au lieu d’explorer davantage sa jeune femme si amusante et qui peut être source d’étourderies (voir les traces de farine dans le dos de son compagnon quelques minutes avant), la longue séquence du cabaret n’est qu’une succession d’événements pratiquement tous hors-propos. Le film passe brutalement et incompréhensiblement d’un savoureux mélange à un simple mélodrame disproportionné, avec une scène de rêve/cauchemar qui n’aide sincèrement pas. Dès cette séquence, commence la chute libre du film : il s’embourbe dans la confusion entre les personnages, la mise en scène ne sait plus vraiment quoi inventer pour conclure la situation de la protagoniste. Ainsi, aux oubliettes les références aux années 20, la satire pétillante – place à une conclusion académique de l’happy-end telle qu’on les trouve dans les plus mauvaises pièces de théâtre.

CHAMPAGNE de Alfred Hitchcock. Avec Betty Balfour, Jean Bradin, Ferdinand Von Alten, Gordon Harker, Clifford Heaterley, Marcel Vibert.
Grande-Bretagne / 1928 / 85 minutes.

3.5 / 5