C’est ça l’amour

Le premier long-métrage de Claire Burger en solo commence directement par un échange. Celui où une femme distribue un micro, qui libère la parole, permettant de se confier en étant entouré d’autres personnes. La cinéaste filme cela en plans serrés, se focalisant sur la personne qui s’exprime, faisant ressortir son visage alors que tous les autres l’écoutent sans bouger. Une manière d’intégrer le/la spectateur-rice dans l’échange, de le faire participer à l’exercice de libération et d’empathie. Sauf que, dès que le micro arrive sur Mario (Bouli Lanners), il est légèrement écarté, assis derrière une femme, l’air inquiet de l’exercice qui se déroule. Et lorsque la metteuse en scène explique son projet, la caméra se confond avec le regard de Mario : là où la scène et le théâtre est prévu pour libérer la parole des participant-e-s, la caméra traduit l’inquiétude de Mario en regardant la profondeur et l’immensité de l’espace théâtral. Soudain, il doit être lui-même. C’EST CA L’AMOUR sera à propos de cela : sonder des personnages authentiques, qui n’essaient pas de changer / de se transformer pour résoudre leurs soucis. Des personnages qui font face à leurs soucis avec leur propre caractère et personnalité.

Quelques minutes après, le film fait comprendre que Mario vit une période difficile, qu’il entre dans un nouvel acte de sa vie. Son épouse Armelle décide de partir, de faire une pause dans leur vie sentimentale, et donc de quitter le foyer familial le temps de cette pause. Le nouvel acte de cette vie se compose désormais d’uniquement trois personnes : le père Mario, qui essaie de maintenir une vie de famille avec ses deux filles Niki (Sarah Henochsberg) qui rêve d’indépendance et la cadette Frida (Justine Lacroix) qui reproche à son père le départ de sa mère. C’EST CA L’AMOUR s’interroge implicitement sur le comportement masculin du père de famille, qui doit désormais tenir la maison et faire vivre la famille à lui seul. Claire Burger explore alors les instants du quotidien et les moments intimes, puis comment tout cela impacte l’expérience du collectif abîmé. Les personnages se développent au fur et à mesure du temps (celui où la pause prise par la mère s’étire), et construisent leur évolution via leurs aspirations individuelles. Le père attend le retour de sa femme et remet en question ses attitudes. La fille aînée, via sa recherche d’indépendance, entre dans la vie adulte et est sur le point de devenir une femme (le maquillage, les sorties tardives, la conduite, la confrontation avec la mère, etc). Tandis que la fille cadette découvre l’amour, l’expérience de l’adolescence et à développer une autonomie.

La cinéaste développe alors une mise en scène féroce : au-delà la bienveillance qu’elle incarne par des corps toujours proches d’autres (pour créer de la chaleur humaine), elle développe une certaine complexité dans les attitudes des personnages. Que ce soit dans une chambre – où se confronte les confidences avec les opinions, dans un théâtre – lieu de libération et de rapprochement dangereux, dans un restaurant – où la table permet la discussion mais aussi de dessiner des camps, etc… Malgré les attitudes déterminées et isolées de chaque protagoniste, il et elles sont toujours confronté-e-s au changement imminent. C’EST CA L’AMOUR, dans sa mise en scène, capte la détresse de la transformation (le départ de la mère, continuer à espérer que le passé resurgisse) et l’angoisse de l’avenir incertain (une famille qui doit se ré-organiser). Dans le même temps, Claire Burger filme cette mise en scène féroce avec un naturalisme parfait. Dans son esthétique épurée, le film navigue entre la dure réalité et les rêves de chacun, entre la gravité de la situation collective et les désirs individuels. Dans le collectif, le cadre est plutôt posé, souvent frontal et en champ / contre-champ, pour mieux capter les émotions instantanées. Mais quand les désirs individuels apparaissent (l’espoir du retour de l’épouse, la relation amoureuse de l’aînée, les humeurs de la cadette), le cadre les gestes et les regards qui permettent à l’esprit de s’échapper le temps d’un moment.

Entre la gravité de la réalité et la beauté des désirs, l’amour est le noyau du film. Cette manière dont le cadre va chercher les amours en construction, puis les amours perdus. C’EST CA L’AMOUR est un film solaire avec une caméra qui va au plus près des visages et des corps. Une caméra qui refuse d’afficher la cruauté de la situation, mais qui arrive à capter la gravité de la situation. Une esthétique qui tient à garder la sensibilité des personnages, à capter un dérèglement dans un lieu connu, tout en laissant la liberté à l’amour d’essayer de régler les problèmes. Claire Burger a donc la sensibilité de mettre en images les différents visages du sentiment amoureux : sa découverte, sa déception, sa furtivité, sa complexité, son lien avec le désir, son pouvoir d’unir et de séparer, etc… La caméra de Claire Burger cherche à montrer que l’amour dans cette famille, c’est de continuer à croire et à lutter, pour garder la maîtrise afin d’éviter la chute. C’EST CA L’AMOUR est un film très touchant, comme ses trois protagonistes, qui fait des blessures une beauté grâce à la croyance en l’amour.


C’EST CA L’AMOUR
Écrit et Réalisé par Claire Burger
Avec Bouli Lanners, Justine Lacroix, Sarah Henochsberg, Cécile Remy-Boutang, Antonia Buresi
France
1h38
27 Mars 2019

4 / 5