Bonheur Académie

Il y aura toujours des sujets compliqués à aborder, que ce soit des thèmes tabou en France ou que ce soit une communauté dangereuse. Le spectateur doit donc savoir vers quoi il se dirige : une grammaire cinématographique qui a la possibilité de détourner le regard, d’ironiser, de s’interroger, etc. C’est exactement ce que font Kaori Kinoshita et Alain Della Negra ici. Pas besoin d’une mise en garde, car ils ne cherchent pas à expliquer ou à comprendre la secte Raëlienne. Elle n’est qu’un prétexte, qu’une toile de fond, pour parler de l’esprit de communauté dans son état d’esprit le plus universel.

S’il y a une idée qui revient constamment dans le film, c’est la question de la représentation. Dans un premier temps, il y a la nuance entre le soi et le jeu de rôle. Le film explore constamment l’ambiguïté des personnes filmées : sont-ils vraiment ainsi ? jouent-ils un rôle durant cette semaine ? quelles sont leurs intentions ? BONHEUR ACADÉMIE se pose en tant que film observateur, mais avec une vraie empreinte artistique de la part des cinéastes. Parce que le geste se rapproche beaucoup plus du documentaire, mais le point de vue effacé du duo de cinéastes se manifeste pourtant à travers l’intégration de la fiction.

En incluant de la fiction dans cette réalité et en s’y adaptant (le décor est réel, les activités sont réelles, etc…), le film explore également la fonction de comédien(ne). Laure Calamy, comédienne à base comique, est ici davantage dans l’ironie car elle est en pleine expérience, telle une introspection. Celle qui oppose la manière de jouer un rôle face à une autre manière, ou comment les déguisements peuvent révéler l’intime profond et les sensations internes (magnifique scène où Laure Calamy est allongée avec des mains qui se rapprochent de son corps). C’est aussi une exploration où le jeu du comédien est mis à nu, qu’il se déconstruit. Voir tous ces moments où Lily (le personnage de Laure Calamy) se met à l’écart, comme si son jeu est percé, cassé.

Dans un second temps, la question de la représentation touche la grammaire visuelle du cinéma. Il y a un plan fondamentalement important, qui résume à lui seul l’intention du film : un plan monté à l’envers (le haut du paysage devenant le bas du cadre) où une femme fait un exercice de relaxation. Ce plan montre à quel point le long-métrage se tient sur le petit fil qu’est la frontière entre le réel et l’imaginaire. Ainsi, en explorant les personnes/personnages composant cette communauté, Kaori Kinoshita et Alain Della Negra explorent le regard porté sur eux. L’esthétique montre que le duo de cinéastes se posent des questions eux-mêmes, cherchant à percer le mystère autour de la sincérité et de l’absurdité. Avec un lieu/décor complètement isolé de la civilisation, BONHEUR ACADÉMIE crée un miroir entre le documentaire et la fiction, entre l’être et le semblant, entre la certitude et le doute. L’esthétique, avec beaucoup de plans fixes et de lents travellings, permet d’inviter le spectateur à embarquer dans une expérience visuelle. Il n’est pas question de s’immerger avec les personnes/personnages filmés, le bonheur et le solaire ne sont pas au coeur du film. Ici, il est question de contempler puis s’interroger sur le pouvoir de l’image (de soi, celle du cinéma, etc).

BONHEUR ACADÉMIE de Kaori Kinoshita & Alain Della Negra.
Avec Laure Calamy, Michèle Gurtner, Arnaud Fleurent-Didier, Benoît Forgeard.
France – 1h15 – 28 Juin 2017

4 / 5