Bohemian Rhapsody

On pourrait penser à un film maudit. Bryan Singer a quitté le projet pendant le tournage, Sacha Baron Cohen a fini par refuser de jouer Freddie Mercury, le projet a mis sept ans à voir le jour, etc. Mais non, en réalité. Ils avaient tous deux raison de quitter le navire. Ils ont bien dû sentir que la direction prise allait faire couler le navire. Dans le mille : BOHEMIAN RHAPSODY est un tas de conformisme, d’académisme et de traitement douteux. Que l’on y aille pour apprendre quelque chose ou non, rien que l’idée d’un film sur le groupe Queen est un argument largement valable pour se déplacer dans les salles obscures. Sauf que c’est la seule publicité qu’il mérite, tellement le film évite tout ce qui fait le cinéma. Un film dopé sous le maquillage et les prothèses, tel Brian Cox et Gary Oldman dans la peau de Winston Churchill (pour ne citer qu’eux). Un film également dopé par l’indigence de son intention, qui n’est au final qu’une longue playlist où se greffent quelques détails de la vie de Freddie Mercury bien lissés dans le sens du poil.

BOHEMIAN RHAPSODY donne l’impression d’avoir été édulcoré de tout regard à risque, de toute situation cinématographiquement intéressante, d’avoir oublié de construire une ambiance. Alors que les membres encore vivants de Queen ont eu leur mot à dire (supprimant toute empreinte artistique possible par Bryan Singer), le film ressemble davantage à une énième œuvre de Queen qui tentent désespérément de refaire parler d’eux / de rechercher la gloire passée, tellement ils sont trop vieux pour autre chose. BOHEMIAN RHAPSODY est très loin de la poésie complexe et indéchiffrable qu’est la chanson. Le long-métrage, par ses innombrables sauts dans le temps et ses manières de spectacle glorifiant, n’est qu’un pétard mouillé de la prétention artistique. Même si Bryan Singer n’est pas le meilleur cinéaste du monde, et loin de là, il aurait surement apporté un regard personnel sur le sujet. Or, BOHEMIAN RHAPSODY est un récital impersonnel. Lisez Wikipedia et écoutez Spotify (ou iTunes) en même temps, le résultat sera le même.

Le montage est un chaos artistique, enchaînant des coupes qui ne servent qu’à vouloir rendre plus beau ce qui l’est déjà. Le film n’arrive jamais à prendre du recul sur la légende (que l’on parle de Freddie Mercury seulement, ou même du groupe Queen), il se fait constamment greffer la musique du groupe pour peut-être lancer un karaoké dans les salles obscures, il veut faire croire à la performance alors qu’il ne s’agit que d’un récital pompeux. BOHEMIAN RHAPSODY, par ses nombreux (et incompréhensibles) plans larges qui se finissent en travelling avant, ne fait que chercher à montrer un nouveau spectacle. Avec beaucoup trop de lumières, et tous ces travellings avant, le long-métrage n’a pas le cœur qui penche pour son protagoniste. Toute sa vie privée, que ce soient ses joies et ses peines, sont minimisées à un mélodrame de surface et des facilités outrageantes. Le discours douteux sur l’orientation sexuelle du chanteur est à vomir : le traitement réservé à Paul Prenter est d’être vu comme le grand méchant qui pervertit Freddie Mercury – tandis que le seul grand amour de Freddie Mercury dans le film est résumé à Mary Austin. Les différends artistiques avec Sacha Baron Cohen et avec Bryan Singer ont dû être nombreux et simples à comprendre : l’embarras du traitement réservé au protagoniste. Queen vient de ternir son image.

BOHEMIAN RHAPSODY
Réalisé (en partie) par Bryan Singer
Scénario de Anthony McCarten, Peter Morgan
Avec Rami Malek, Lucy Boynton, Gwilym Lee, Ben Hardy, Joseph Mazzello, Aidan Gillen, Allen Leech, Tom Hollander, Mike Myers, Aaron McCusker, Meneka Das, Ace Bhatti, Priya Blackburn, Dermot Murphy, Dickie Beau
Royaume-Uni, États-Unis / 135 min / 31 Octobre 2018

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