At Berkeley

Réalisé par Frederick Wiseman. Durée 244 minutes. Originaire des Etats-Unis. Sortie française le 26 Février 2014. Genre documentaire.

<< Un semestre sur le campus de la plus prestigieuse université publique américaine : Berkeley. Les principaux aspects de la vie universitaire, les efforts de l’administration pour maintenir l’excellence académique, et la diversité du corps étudiant face aux restrictions budgétaires imposées par l’État de Californie. A travers les différentes facettes de cette institution mythique, le débat sur l’avenir de l’enseignement supérieur aux États-Unis est ouvert. >>

Seriez-vous capable d’aller voir un film de 4 heures ? Autre élément, c’est un documentaire. Déjà que certains ont eu des difficultés à aller au bout de Titanic ou Gone With the Wind… Je n’ose pas imaginer le taux de fréquentation pour ce film dans les salles française. Lors de ma séance, nous étions quatre pour se partager 300 sièges. Quel dilemme. Pourtant, le film file à une grande vitesse. Il passerait même plus rapidement que certains films de 90 minutes. Cela grâce à l’intelligence du montage.

Bien que répétitif, voire cyclique, le montage offre au spectateur des informations coup par coup. Entre chaque situation capturée par Wiseman, il y a le temps pour souffler. Entre chaque capture de cours ou de réunions, il y a des plans courts sur l’extérieur de l’université. Sur ses longues allées, sur ses étudiants prenant le soleil, sur les travaux effectués, sur les belles pelouses bien tondues, etc… Comme si le film fonctionnait comme un plein de chapitres. Où ces-derniers se rejoignent un seul et même noeud : l’université de Berkeley.

Cela est pour mieux séparer le fond et la forme (l’image donnée) de l’université de Berkeley. Car Wiseman jouera sur les deux niveaux. Tout d’abord, Wiseman re-contextualise l’université. Sa puissance reconnue, sa fierté de la recherche, sa volonté d’avoir l’un des meilleurs corps d’enseignants. Tout ceci sont les branches d’une image que protège l’université. Les personnes qui y travaillent, et surtout l’administration, se donnent corps et âme pour préserver cette image de prestige. Sa grandeur et son degré de fiabilité (pour les futurs diplômés) font de l’université une marque d’assurance.

Mais voilà, il faut réussir à garder cette image de luxe. Surtout quand l’université est publique. Car il y a l’allumette qui a mis le feu aux poudres. C’est précisément l’État de Californie. Qui a décidé de réduire ses subventions pour l’université. Mais Wiseman ne veut pas d’un film qui pointe du doigt un État qui fait des coupes budgétaires. Nous ne sommes pas dans le blâme politique. Ceci n’est qu’un fait mentionné à plusieurs reprises, pour bien situer l’intrigue du film. Qui se concentre sur les débats autour de la vie à l’université. En quelque sorte, cela sert de moteur pour parler de l’accès et du futur (des étudiants et de l’université en terme d’investissements).

Frederick Wiseman s’amuse à décortiquer le fond de l’université. Il va au plus profond du fonctionnement de l’université (cours et administration), en toute impunité, pour mieux en garder une approche anthropologique. Pensée par pensée, détail par détail, investissement par investissement, tout est scruté au scalpel pour mieux en comprendre les difficultés actuelles. C’est la chute du fond. Et Wiseman se prend un plaisir fou à nous en donner de multiples exemples. Tout le monde a l’air beau et gentil. Mais on peut y voir plus vaste. On pourrait étendre de point de vue sur les USA, voire même sur le monde tout entier. C’est la mécanique capitaliste qui nous est donnée de voir.

Ou plutôt d’entendre. Car la parole est omniprésente dans ce film. Que ce soit dans les sons d’ambiances (dans les plans extérieurs), ou dans les captures du fonctionnement intérieur. Rien que dans une seule situation, une parole d’une seule personne ne peut se permettre d’être loupée. D’où le fait de devoir être bien éveillé et concentré durant les 4 heures du documentaire. Pour mieux réparer les points noirs causés dans le fond (dont je parlais précédemment), la démocratie est de rigueur. Comme lors de la longue séquence de manifestation, Frederick Wiseman met la parole au centre des débats. La parole, la plus grande arme pour prendre le pouvoir. Par laquelle toutes les pensées, les avis et les décisions se joignent : pour ainsi préparer l’avenir, et voire le corriger au mieux possible.

Pour filmer ces prises de paroles, Wiseman adopte une approche directe. On sent la multiplicité de caméras, pour réussir à être sur plusieurs fronts durant une discussion. Il ne peut faire stopper les paroles, alors il se place partout pour être certain de les capter au mieux possible. Même si le réalisateur cache totalement son dispositif, il sait ce qu’il veut prendre. Il se laisse porter par la parole. Pour mieux la faire passer au spectateur, Wiseman adopte alors une approche directe mais aussi frontale. Avec tous ses plans fixes, Wiseman ne fait pas dans la poésie. Il saisit un instant spontané qui mérite d’être gravé, tel le témoin d’un événement qui va tout changer (les plans fixes de l’extérieur sont plus dans la contemplation). Il n’a pas peur des tabous, des sujets difficiles abordés. Il veut que tout soit dit. Il veut que tout soit entendu. Non pas dans la prise de risques, mais plutôt dans la confrontation de la dure réalité, par le militantisme et l’administration. Frontalité d’une utopie qui prend l’eau. C’est en cela que ce film est bouleversant et stimulant à la fois.

5 / 5