Antigone

Antigone, figure de la mythologie grecque, est la sœur d’Étéocle, de Polynice et d’Ismène. Après une histoire de pouvoir et d’accès au trône, les frères Étéocle et Polynice se battent en duel et perdent la vie. Étéocle est honoré, Polynice est perçu comme un voyou. Seulement, Antigone refuse cette différence de traitement entre ses deux frères. Antigone va donc au secours de son frère Polynice, pour l’enterrer dignement. Antigone se fera prendre, mais refuse les conditions de son oncle Créon qui ne veut pas ébruiter l’affaire. Antigone persévère, mais est enfermée et condamnée à mort. Le film de Sophie Deraspe est une lecture moderne de ce récit mythologique, transposé dans notre époque, où la discrimination et l’oppression des forces de l’ordre font rage. ANTIGONE est une grande surprise, une petite bombe qui commence pourtant comme une jolie chronique familiale, entre humour et poésie de la vie de famille. Les liens incroyables et fort entre les frères et sœurs au sein de cette famille sont beaux et bouleversants, car la cinéaste filme les corps très rapprochés, les regards accompagnés de sourires, la joie de simplement danser ensemble, etc. Le long-métrage commence avec le point de vue des sentiments, de la solidité des liens familiaux.

Des liens si forts que le fameux duel entre les frères n’a pas lieu, mais il est transposé dans une scène d’oppression par les forces de l’ordre. À partir de là, Sophie Deraspe peut explorer tous les maux de la société moderne, et étudier ses personnages dans leur combat face à l’injustice. ANTIGONE est très émouvant dans cette étude, parce que la cinéaste alimente le montage de formes diverses et variées. Le mélange et la multitude des formes (la caméra de cinéma, les prises de vues par téléphones, des photographies, incrustation de messages sur internet, des séparations d’écran, des écrans de télévisions, etc) permet au film de connecter l’image aux émotions de multiples manières. Tout d’abord, les personnages (qu’ils soient vivants ou non) traversent les images de toutes sortes, comme un message et un sentiment qui se répand peu importe la forme. Puis, c’est aussi une façon de faire venir les images aux personnages, de multiplier les formes d’expression selon qui donne son point de vue à quel instant. Et au fond, tout ceci permet de connecter toutes les émotions et sensations différentes, de montrer que les émotions créent un besoin d’images.

Ce besoin d’images est un cri de rages, est la représentation d’un langage universel, d’un langage puissant en émotions qui n’a pas de frontière et de limite. Tout le monde peut créer ses images de soutien et de colère, tout le monde peut se joindre aux images pour marquer son empreinte dans la lutte. Ce langage devenant universel et émotionnel permet aussi d’explorer les espaces que traversent les personnages dans leur lutte. Chaque espace provoque une conception de l’image. D’où le besoin de multiplier les formes, et de faire ressentir également le sentiment d’isolement & d’enfermement que subissent les personnages dans cette oppression.Que ce soit dans les espaces où il y a des corps qui freinent les mouvements, où dans des cadres serrés qui plaquent les corps contre les murs, ANTIGONE donne toujours la sensation qu’une impuissance permanente, d’une pression forcée sur les corps et le moral. Puis, grâce au mélange des formes qui se connectent vers le même but, il y a l’éclatement d’une révolte. Grâce au soutien que reçoit Antigone petit à petit (que ce soit dans le champ ou dans le hors-champ), il y a le dépassement du cadre familial pour élargir les images à un cadre collectif. Comme dans la mise en scène, où sobrement Sophie Deraspe sème des graines ici et là, propulsant le regard intime vers un regard sociétal : le mouvement intime devient un mouvement plus large. Ainsi les images s’éloignent petit à petit du cadre familial, pour déjà bien signifier la distance créée et imposée au sein de cette famille, mais aussi pour montrer que la mise en scène implique de plus en plus de personnages.

Grâce à ce geste, les images et la mise en scène cherchent ce qui reste d’humain, de solidarité et de romantique dans toutes les situations subies par les protagonistes. À travers plusieurs temps (la narration contient des ellipses évidentes mais très subtiles et limpides), l’esthétique accroît l’implication de personnages secondaires et de figurants, où des petits gestes et des rassemblements autour d’une même image créent une force collective qui n’a pas peur. Face aux costumes de la justice et des forces de l’ordre, il y a ces corps faits d’individualités montrant pourtant un collectif déterminé. Comme si la lutte intime d’Antigone se projette dans les images et la mise en scène d’une jeunesse qui se révolte. Mais une révolte humaine et poétique, jamais dans la violence. Dans leurs costumes, les représentants de la justice et de l’ordre sont ceux qui érigent une réalité brutale et mortelle dans le cadre ; alors que la jeunesse tend à s’émanciper, cherchant le peu de liberté qui reste, pour que l’imaginaire (produit du cœur) puisse déborder sur une réalité cruelle.


ANTIGONE ;
Écrit et Dirigé par Sophie Deraspe ;
Avec Nahéma Ricci, Nour Belkhiria, Rachida Oussaada, Paul Doucet, Antoine Desrochers, Rawad El-Zein, Jean-Sébastien Courchesne, Hakim Brahimi ; 
Canada ;
1h49 ;
Distribué par Les Alchimistes ;
2 Septembre 2020.