Amal

Second film et second documentaire pour Mohamed Siam. En 2016, le cinéaste égyptien racontait sa rencontre avec des policiers en civils, dans une société bouleversée par la révolution. Nous n’avons pas vu le film, non sorti dans les salles françaises, mais les quelques images disponibles (de bande-annonce et autres) montrent déjà l’engagement du cinéaste au travers d’un regard troublé par les événements. « Personne ne gagne quand les causes d’une révolution sont oubliées » dit l’affiche de WHOSE COUNTRY ?, son premier film. Avec AMAL, Mohamed Siam resserre le champ et se focalise sur une seule personne. En passant de l’autre côté de la révolution (Amal est une jeune révolutionnaire), le cinéaste construit une oeuvre portrait – le portrait morcelé d’une société en perdition. Cette fois, Mohamed Siam ne raconte pas son parcours à la recherche d’informations, il ne fait que suivre. Il s’efface du champ, laissant toute la place à la parole et à Amal, pour que le geste révolutionnaire soit incarné entièrement dans l’instantané, pris sur le vif par la force de l’image témoin. Ainsi, tous les cadres proposés dans AMAL sont dévoués à la jeune femme révolutionnaire, et à l’ambiance qui l’entoure.

Le film suit donc Amal à travers plusieurs années, de 2011 à 2016, pour capter le plus sincèrement possible son parcours individuel et intime au sein d’une société malade. Mohamed Siam fait de son film un acte de préservation des souvenirs : le cinéma comme mémoire d’un voyage personnel à travers les espaces et le temps, au travers d’un événement qui a une influence forte sur la personne filmée. Ce geste de mémoire vive s’effectue au cœur d’un environnement rempli d’émotions et de sensations diverses. Amal frôle la mort, se querelle, s’agace, se révolte. Mais Amal garde espoir, a le sourire, est constamment en mouvement, trouve l’amour, etc. AMAL n’est donc pas un film sur la révolution, même via le prisme du récit intime. AMAL est un film d’apprentissage, où se conjuguent les premiers pas dans la vie (apprendre à nager, les moments marquants des anniversaires, les souvenirs de la famille, etc) et les premiers pas de la vie d’adulte (chaque présent dans chaque année, après la révolution). Ces deux récits d’apprentissage se conjuguent pour parler d’une même chose : la quête de liberté d’Amal. Et même si tout converge toujours vers les mêmes espaces (les rues et les places de la révolution), le film explore la façon dont le temps et le passé construit le présent, la façon dont chaque moment est la définition d’une détermination pour gagner la liberté et le respect.

En revenant dans les mêmes espaces à travers les années, AMAL capte ce chaos au sein de la société qui n’a pas changé. Mais Mohamed Siam place le chaos dans le hors-champ, il suggère la tension et l’oppression dans chaque recoin du cadre. Le chaos n’est jamais automatiquement dans le cadre, il est parfois présenté avec le mouvement d’Amal qui va le confronter (cet instant fabuleux où Amal, 15 ans, va confronter un policier à quelques centimètres de lui, tout en étant bien plus petite, mais beaucoup plus dynamique). En accompagnant Amal au sein du chaos, en ne cherchant pas à faire le portrait de la société, Mohamed Siam montre l’espoir et le rêve des révolutionnaires. C’est une vie dans l’illusion, car le chaos est bien présent, mais le mouvement permanent est le moyen de préserver le rêve dans le temps. Même si le film manque parfois de témoigner davantage la lutte quotidienne (la présence groupée et hargneuse lors d’actions de manifestations), Mohamed Siam réussit à ne pas être trop sentimental. AMAL montre davantage qu’une révolution, il fait le portrait d’une vie bouleversée mais surtout forgée par les convictions et la lutte, pour se diriger vers la liberté.


AMAL
Écrit et Réalisé par Mohamed Siam
Avec Amal Gamal
Égypte, France, Allemagne, Liban, Norvège, Danemark
1h23
20 Février 2019

3.5 / 5