Alias Maria, une guerrière un peu trop perdue

Réalisé par José Luis Rugeles Gracia.
Avec Karen Torres, Carlos Clavijo, Erik Ruiz, Anderson Gomez, Lola Lagos, Julio Pachon, Fabio Velazco
Colombie/Argentine
90 minutes
Sortie le 9 Mars 2016

La jungle est souvent un espace hostile au cinéma, au point de faire errer et perdre les personnages dans son immense étendue. ALIAS MARIA fait bien partie de ces films qui développent une marche dans une jungle, devenant rapidement une fuite ou une épopée. Ici, l’espace (peu accueillant) est soumis à une guerre, donc doublement hostile pour les personnages : ils doivent gérer à la fois leur survie contre la nature et celle contre les armes ennemies. Ces deux éléments prennent leur sens dès le début, quand on s’aperçoit que la protagoniste Maria a grandi dans cette jungle.

Elle ne connait alors que cela, depuis toujours, elle y est habituée et a conscience des difficultés de la survie et du danger qui guette tout autour. Pourtant, le film n’arrive pas à envelopper cette ambiance de mort dans ses images. Il y a quelque chose de pas très abouti dans cette menace de la mort, comme s’il y a toujours un moyen de l’esquiver. Parce que ça marche tranquillement et que les corps ne sont jamais crispés ou en alerte. Ainsi, les images ne montrent que la fuite, l’échappée vers d’autres endroits « sécurisés » dans la jungle. L’ambiance joue sur l’instantané : quand les personnages doivent fuir rapidement, ça ne dure pas plus longtemps et c’est vite oublié.

Pourtant, il y avait davantage à faire dans le travail du hors-champ. Certes l’angoisse y est présente, mais ce n’est pas dans la durée. La temporalité de la menace est souvent cassée par les relations mélodramatiques intégrées. La trame narrative imaginée autour de la protagoniste n’est jamais crédible, alors qu’elle est tout le temps livrée à elle-même dans cette jungle. La plus belle séquence se trouve vers la fin du long-métrage : quand la protagoniste fuit son camp avec un ami blessé, pour retrouver la liberté ailleurs. Elle n’est plus en lutte avec les autres personnages, bien elle l’est avec la jungle. L’angoisse de la mort pèse sur ses épaules, dans chaque lieu qu’elle a traversé et tous ceux qu’elle s’apprête à prendre.

Le film pourrait être une fable sur une émancipation, celle d’une jeune fille (mineure) qui rêve de connaître l’ailleurs parce qu’elle a passé tout son temps dans la jungle. Or, le corps de Maria est constamment en retrait. Il ne donne pas l’impression de participer à la difficulté du contexte de guerre, et ne semble jamais être en conflit avec l’espace qu’il traverse. C’est plus Maria qui observe les événements et l’ambiance au sein de la jungle, que la jungle et la guerre qui la manipulent. A partir de là, le spectateur est aussi placé en marge de la situation, car il est à la même place que la protagoniste : une situation passive face à une ambiance qui semble étrangère qui ne nous concerne pas.

C’est pour cela que le film peine à décoller dans l’angoisse de la mort et la menace de la jungle : il ne prétend jamais faire participer le spectateur ni sa protagoniste. De la pure observation, qui fait tourner l’intrigue dans un creux perpétuel. Ca tourne en rond, ça revient sur les mêmes idées, et ça cadre constamment les mêmes éléments. Redondant, donc, surtout quand il ne s’agit que de marcher, crier et dormir. Et quand un léger événement troublant survient, il est minimisé par rapport à la fatalité de la jungle (la mort inévitable dans un espace immense peu accueillant).

Mais voilà que la caméra n’arrange pas la progression du long-métrage. Avec un tel montage, il est impossible de connaître le réel objectif du film. Est-ce une situation personnelle sous contexte collectif ? Ou serait-ce une survie collective avec des perturbations individuelles ? Cette opposition provient de la manière de filmer la jungle, notamment. Parce qu’il y a beaucoup de changement d’échelles et d’angles de vue, que la jungle est trop brouillon. La caméra n’arrive pas à imposer la jungle face aux personnages, alors qu’elle doit être une menace (qui s’ajoute à celle de l’ennemi armé). Même si la jungle semble être le tombeau de tous ces personnages, il y manque péniblement de vie et de grâce pour y développer une réelle ambiance.

2 / 5