Aimer, boire et chanter

Réalisé par Alain Resnais. Scénario de Laurent Herbiet. Avec Sabine Azéma, André Dussollier, Michel Vuillermoz, Hippolyte Girardot, Sandrine Kiberlain et Caroline Silhol. Durée 80 minutes. Sortie française le 26 Mars 2014

<< Dans la campagne anglaise du Yorkshire, la vie de trois couples est bouleversée pendant quelques mois, du printemps à l’automne, par le comportement énigmatique de leur ami George Riley. Au grand désarroi des hommes dont elles partagent la vie, George exerce une étrange séduction sur les trois femmes : Monica, Tamara et Kathryn. Laquelle George Riley emmènera-t-il en vacances à Ténérife ? >>

C’est triste à dire, mais c’est la fin. Nous ne verrons plus de films réalisés par Alain Resnais sortir dans les salles obscures. Le cinéma français est alors en deuil. Déjà en 2012, avec Vous n’avez encore rien vu, on savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps. Mais le plus tard était le mieux. Quel bel hommage que d’aller voir son dernier film sur les grands écrans. Depuis le précédent, qui avait été présenté à Cannes, on ressentait un aspect nécrologique. Comme si Alain Resnais mettait en scène sa future disparition. C’est notamment avec cela que Aimer boire et chanter forme un fabuleux diptyque avec Vous n’avez encore rien vu.

Une même veine traverse ces deux films. Celle du hors-champ d’une personne proche. L’influence de cette personne alors qu’elle n’est pas là. Physiquement parlant, bien entendu. Car Aimer boire chanter reflète une nouvelle fois l’esprit qui flotte toujours au-dessus de nous. Ce n’est donc pas un hasard si on peut retrouver les mêmes acteurs que dans Vous n’avez encore rien vu, à quelques exceptions près (l’arrivée de Sandrine Kiberlain). Cela n’empêche pas qu’ils forment une sorte de troupe. A la vie, à la mort. Pour toujours, Alain Resnais et son esprit existe au coeur de cette troupe.

Un diptyque, deux films si personnels, si intimes. En effet, Aimer boire chanter a beau créer de grandes ellipses et s’étirer sur plusieurs mois, il en reste un vent d’intimité. Capturer des personnages dans leur intimité, leur quotidien, leurs préoccupations les plus personnelles. Cela pour mieux les saisir, pour mieux en créer une empathie. Alain Resnais l’a bien compris depuis longtemps. Nous avons ici les répercussions d’un comportement inattendu sur des proches. Comment un acte soudain affecte nos sentiments et notre quotidien. Sacrée mise en abime de la part d’Alain Resnais.

Il se donne alors à coeur joie de les filmer à l’extérieur de leurs maisons. Cela permet au cinéaste français d’explorer plusieurs possibilités esthétiques. De la lumière, aux couleurs, en passant par l’affection de l’acteur au décor. En n’allant jamais à l’intérieur des maisons des personnages, Alain Resnais évite une redondance esthétique. Il s’offre alors la liberté d’explorer l’intimité, l’influence de la disparition avec plusieurs saisons. L’évolution se fait au terme des saisons : la lumière, les couleurs et les décors changent. De quelque peu, mais l’évolution est nette.

En jouant sur l’espace qui se modifie, Alain Resnais joue simultanément sur la temporalité. La façon dont les actions affectent les personnages dans la durée, comment elle est traitée et cicatrisée. De plus, il y a un autre jeu sur la temporalité. Malgré l’évolution dans les mois, il y a un montage parallèle. Dans chaque saison, les situations dans chaque couple se déroulent en même temps. Quand, dans Vous n’avez encore rien vu, les souvenirs des scènes de la pièce se jouent simultanément, ici les souvenirs font de même. Comme si des souvenirs s’entrechoquaient dans un instant, puis venaient à en resurgir de nouveaux quelques temps après.

Alain Resnais joue habilement sur les liens espace/temps grâce à ses ellipses. Implicitement, il est la cause de tout. Son état est la cause de chaque détail du film. C’est vraiment en sachant cela que les émotions ressortent du film. Le récit, en lui-même, est assez simple. Des couples perturbés par le retour d’un ami, qui séduit les trois femmes. Un jeu de séduction, qui fait écho au jeu de complicité entre Alain Resnais et les acteurs de « sa troupe ». Le propos du récit est peut-être moins passionnant que le film précédent, mais il n’en est pas moins beau. Alain Resnais a cette capacité de tirer chaque sensation particulière de son récit.

Le montage se montre rigoureux et affecté à l’instantané. Pour notre plus grand plaisir de passer d’une situation à une autre. Plusieurs plans séquences font leur apparition, il n’y en a même davantage que dans Vous n’avez encore rien vu. Le décor est plus important que dans ce film précédent. Ce qui n’oblige en rien Alain Resnais de changer souvent d’approche. Puisque les acteurs, l’espace et la temporalité le font déjà très bien. Alain Resnais place alors sa caméra en toute modestie. Il va chercher l’angle, non pas idéal, mais tout de même le plus pertinent pour ne pas rester de marbre. Les périmètres entre chaque personnage ne change quasiment jamais. Mais c’est pour le meilleur, car c’est le portrait d’un groupe d’amis.

Ce portrait est notamment très beau. Comme dans Vous n’avez encore rien vu, Alain Resnais est dans la théâtralité de son film. La texture de chaque décor est largement visible. C’est volontaire, le cinéaste français explore le mélange des deux univers. Encore mieux, ce mélange reflète aussi la dimension nécrologique des deux films. Ce n’est alors pas un hasard ou un choix arbitraire de mise en scène. Alain Resnais est du côté de l’illusion (au spectateur de faire sa part d’imaginaire) et de la conceptualisation de la mise en scène. Tout devient alors artifice : l’enthousiasme qui surgit quelques fois dans le film n’est qu’une expérience pour tenter d’échapper à l’horrible condition nécrologique.

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