À ma place, de Jeanne Dressen

Printemps 2016, en France. C’est à cette période qu’apparaît le mouvement « Nuit Debout », qui est à la fois un ensemble de manifestations et un ensemble d’occupations de lieux publics. Tout cela avec l’idée et l’organisation de prises de paroles, d’échanges, d’assemblées générales, de commissions, etc. Ce fut une manière totalement démocratique et citoyenne de lutter contre les décisions du gouvernement de l’époque. Une lutte représentée par la volonté de réfléchir à des transformations, à construire de nouvelles directions pour le peuple et le pays. C’est dans ce mouvement que Jeanne Dressen trouve et rencontre Savannah, qui devient militante très active de Nuit Debout. À MA PLACE suit cette aventure de Savannah durant le printemps 2016, de l’apparition du mouvement jusqu’à sa progressive disparition au début de l’été 2016. Étudiante en droit, Savannah cherche sa place dans la société, et la trouve dans cette lutte quotidienne au sein de la place de la République. Elle en devient même une figure récurrente, au point de faire régulièrement de la médiation lors des rassemblements. Mais Jeanne Dressen ne s’arrête pas à filmer Nuit Debout, car elle filme aussi l’intimité de Savannah : aussi bien dans son quotidien d’étudiante, ou au sein de sa famille de la classe ouvrière.

Savannah cherche à ré-inventer la politique, avec de nombreuses autres personnes. Mais tout n’est pas rose dans ce quotidien de lutte, et c’est ce qu’explore le documentaire. Alors qu’elle met toute sa force dans la lutte, Savannah doit réussir à garder de l’énergie pour ses études et surtout pour ses examens de fin d’année. Parce qu’en dehors de la lutte politique, elle a des ambitions scolaires. Tout en luttant, Savannah apprend et doute. Tout en s’investissant par la force de ses convictions, son corps fatigue. Mais elle continue à rêver d’un avenir meilleur, aussi bien pour elle que pour le pays. C’est là que À MA PLACE capte cette dualité complexe entre ce que veut l’esprit et ce que peut réaliser le corps. Le montage est toujours dans le parallèle entre le militantisme et la vie privée, pour explorer l’impact de l’un sur l’autre, et inversement. Jeanne Dressen montre que la recherche et la construction d’un avenir (qu’il soit personnel ou collectif) ne se fait pas sans obstacles, sans souffrance et sans doutes.

Pour cela, Jeanne Dressen s’intègre dans plusieurs espaces : aussi bien dans les rassemblements de Nuit Debout, dans le danger des manifestations, que dans l’intimité familiale de Savannah. Le documentaire est comme une fable aussi poétique que dure, parce qu’autour des espaces de rêves que constituent Nuit Debout, il y a des espaces réels qui sont impactés par l’imaginaire. Il y a à la fois la recherche d’appartenance à un espace, et l’appropriation de l’espace. Une façon de connecter l’intimité et les ambitions, de faire circuler la parole et les idées. Malgré un rythme très inégal dans la narration au montage, même avec quelques ruptures apportées par des interviews, À MA PLACE est très intéressant et déborde d’énergie car la caméra est au cœur de l’action. Le cadre accompagne toujours Savannah, que ce soit dans l’espace et dans le temps, pour bien saisir le caractère humain et organique de cet élan de lutte.

Même si le geste peut paraître anecdotique, le documentaire témoigne des vibrations et des élans d’une jeunesse qui ne se sent plus en harmonie avec un monde adulte qui les entoure. Tout ce monde adulte qui est toujours dans le hors-champ, car la caméra est au cœur de l’action pour explorer cette sensibilité, là où l’existence de ces jeunes se dessine par l’organisation de ce théâtre populaire. C’est ce qui rend le parallèle entre lutte et vie privée si fort, car tout est une question de détresse et de cri de rage. Chaque parole et chaque attitude sont dans l’émotion et dans la détermination de se rebeller. Comme lorsque Jeanne Dressen filme Savannah dans sa voiture : tout est question d’élan, de ressentir la nécessité de créer le mouvement vers un espace dont on n’a pas l’habitude, jusqu’à ce qu’il ait un poids considérable sur l’intimité. Même si le montage n’épouse pas vraiment le rythme infernal de la vie de Savannah lors de ce printemps 2016, chaque scène montre un cadre qui épouse une ambiance digne de la survie.


À MA PLACE ; Film de Jeanne Dressen ; France ; 1h04 ; Distribué par DHR Distribution / A Vif Cinémas ; 9 Septembre 2020