2 Automnes 3 Hivers

A 33 ans, Arman a décidé de changer de vie. Pour commencer il court. C’est un bon début. Amélie poursuit la sienne (de vie) et court, elle aussi. La première rencontre est un choc. La seconde sera un coup de couteau en plein cœur.

Ce film s’inscrit défitinivement dans le courant de la nouvelle génération de cinéastes français. Aux côtés de ceux qui créent une rupture et cassent les codes (Triet, Zlotowski, Gonzalez, Peretjatko, …), il y a ceux qui font leurs films en puisant dans les références et les influences personnelles (Brac, Betbeder, …). Mais ils ont tous un point commun : celui ne n’avoir que très peu de moyens pour faire leurs films. Nous assistons alors ici à une génération de cinéastes français qui s’amusent avec le do-it-yourself. Avec un budget de court-métrage, Sébastien Betbeder réussit l’improbable : sortir en salles un long-métrage qui redonne de l’énergie au Cinéma français.

Ses compères de la nouvelle génération y arrivent également, mais à chacun sa manière. Sauf que, dans toutes ces manières, il y a un noyau. Une personne qui, même s’il n’apparait pas dans chacun de ces films, agit comme l’icône de ce renouveau du Cinéma français. Vous l’aurez compris, il s’agit de Vincent Macaigne. Cette personnalité hors du commun, au visage mi ours (voir La Bataille de Solférino) mi chien battu (voir Un Monde Sans Femmes), dont on retrouve le mixe parfait dans ce film (mélange qui était aussi présent dans La Fille du 14 Juillet). Vincent Macaigne s’adapte à tous les tons, tous les genres. Ce qui colle avec ce film, c’est que Macaigne colle parfaitement au traitement du film.

Le film ne peut être rangé dans la comédie, ou dans la case de la tragédie, ou dans le tiroir du mélodrame. Car il en explore toutes les dimensions. Un nouveau mélange pétillant qui s’avoure finalement un formidable pastiche de plusieurs cinéastes. On peut y retrouver Eric Rohmer, Jacques Demy ou Jacques Tati. Et c’est la sincérité et la part assumée des clins d’oeil qui fera le charme du film. Comme un temps perdu du Cinéma, qui revient vers le spectateur. On aura du mal à trouver une patte du cinéaste, comme celle de Yan Gonzalez dans ses Rencontres d’Après Minuit est très visible. Ici, Sébastien Betbeder préfère parcourir plusieurs genres et en faire un mélange, où le fantastique viendra les côtoyer pendant une scène.

Le plus fascinant, ce n’est pas tant ce mixe des genres. C’est surtout comment y sont imprégnés les personnages. Ces trentenaires (et une jeune de vingt ans) à qui rien ne sourit. Sans travail, sans vie sociale, sans argent, … Ce sont les losers de premier ordre. Ils représentent les personnages en marge de la société que les frères Coen aiment parler dans leurs oeuvres. Avec ces personnages, Sébastien Betbeder se moquera de l’absurdité de la société (comédie), présentera leurs situations comme une fatalité (tragédie) et donnera un message d’espoir via l’amour (mélodrame).

L’approche de ces personnages (et par conséquent, de l’intrigue) penche de deux côtés. Tout d’abord, le jeune cinéaste opte pour raconter une tranche de vie. Il préfère rester dans l’anecdotique, et traiter plusieurs problèmes à la fois. Même si cela va relever quelques maladresses (notamment de rester plusieurs fois en surface des choses), le film suit son chemin et sait où il va. Sébastien Betbeder choisit les grandes ellipses, et la voix-off. Une intrigue racontée comme s’il s’agissait de souvenirs, des choses passées qu’on aime se remémorer. Car elles ont de l’importance et un impact sur le présent : propre écho sur le principe de faire un film basé sur des références et des influences passées.

Ensuite, il y a ce dispositif totalement artificiel. Bien que ce film est à l’opposé de son précédent (Les Nuits avec Théodore, romance fantastique en plein coeur de Paris, à voir absolument), la technique est toujours aussi visible. Et on comprend désormais que c’est voulu, que c’est totalement assumé. Notamment avec les regards caméra des acteurs (tous excellents). Tout se joue sur la parole, là où son film précédent jouait sur le placement et la mécanique des visages. Un revirement total, qui porte ses fruits. Car, avec tous ces longs monologues face caméra et ces dialogues en temps réel dans l’action, Sébastien Betbeder permet à la parole de jouer sur les toutes les ambiances. On a devant nous une parole qui est au coeur de l’intrigue, la parole qui implique la communication (très mentionnée dans l’intrigue).

De ce fait, la narration (et donc le rythme du film) reste des plus simples. Loin du film à sktechs, les grandes ellipses nous paraissent infimes. En effet, tout est amené avec une telle légèreté et douceur, que chaque fin de scène et début de la suivante se lient automatiquement. Dans le chapitrage, il y a cette forme de logique qui fait suite à l’énergie du discours. On ne parlera pas de plaisir, mais plutôt de sympathie à sauter d’un personnage à l’autre, pour ensuite revenir sur le précédent. Tous ces détours sont menés par une aisance telle une pause après le pic de tragédie.

Et même si ce film ne reflète pas tellement d’un message précis ou d’une morale nette, il y a un portrait. Celui d’une défaillance dans le monde dans lequel nous vivons. Comme un déraillement qui se veut inter-générationnel. Ca se note avec les parents du meilleur ami, ou même avec le médecin. Et encore avec la soeur cadette d’une vingtaine d’années, qui rejoint une sorte de secte. Il y a comme un os dans toute cette soupe de jeunes personnes qui ne demandent qu’à vivre dignement. Là où on est obligé de trouver le boulot qui nous tombe sous la main (il y a une déclaration d’amour à l’art dans ce film). Jeunesse fauchée, mais jeunesse passionnée.

4 / 5