Coffret vidéo : Hammer 1970-1976, Sex & Blood

Difficile de ne pas présenter la Hammer sans être grandiloquent et enthousiaste. Parce que la société britannique est un cador dans le cinéma de genre (horreur, fantastique et même aventures). Créée en 1934 par Williams Hinds et Enrique Carreras, elle a produit plus de 200 films. Il s’agit notamment de la société qui a dernièrement produit les deux films LA DAME EN NOIR. Mais surtout, elle a rayonné à l’international, inspirant de nombreux cinéastes comme Joe Dante, John Landis et tant d’autres. Connue et saluée pour ses cycles autour de personnages issus de la littérature fantastique (dont le monstre de Frankenstein, Dracula, la Momie, Docteur Jekyll, etc…), la société s’est imposée dans les salles entre les années 1930 et la fin des années 1960. Dès le début des années 1970, ce fut la crise. Les films se sont enchaînés mais les idées ont eu du mal à se renouveler, l’argent se fait de plus en plus rare, et le public se lasse. La formule Hammer, centrée sur les figures légendaires et fantastiques, faiblit face au cinéma de genre bien différent qui arrive d’Europe et des États-Unis. Tout ce qui reste d’argent et d’idée iront dans leur dernier long-métrage sortant en salle : un remake du film UNE FEMME DISPARAÎT d’Alfred Hitchcock en 1979. Clap de fin pour la Hammer dans ses productions, ne restant fonctionnelle qu’administrativement. Avant d’être reprise financièrement en 2007 vers de nouvelles aventures.

LES HORREURS DE FRANKENSTEIN, Jimmy Sangster, 1970

Dans ce coffret édité par Tamasa et StudioCanal, il s’agit de revenir sur cette période compliquée des années 1970 en sept films. On y retrouve de grands noms : Roy Ward Baker à la mise en scène, Peter Cushing, Christopher Lee, Ralph Bates, Joan Collins, Nastassja Kinski aux castings. On y retrouve surtout le style Hammer : les images chocs, l’esthétique gothique et gore, des antagonistes violents, de l’érotisme, et un peu d’humour. Dans LES CICATRICES DE DRACULA, on peut se délecter de la présence et la performance incroyable de Christopher Lee, qui porte littéralement le films à lui seul, tant les autres rôles manquent de charisme ou de profondeur. Le film de Roy Ward Baker est pourtant rempli d’excès de violence, de gore à outrance et d’érotisme à foison (si bien que les personnages féminins ne servent que de proies sexy à Dracula). Avec un tel cinéaste aux manettes, il n’est pas étonnant que tout cela se traduise dans des couleurs éclatantes et très appuyées, pour mieux embrasser totalement et frontalement les codes du mythe de Dracula (le récit est très proche du roman, très fidèle sans être dans le récital). On retrouve cet exercice de l’outrance dans le récit simple avec Seth Holt mettant en scène LA MOMIE SANGLANTE. Très marqué par un gothique qui se veut élégant, avec des personnages très distingués, l’esthétique est à la fois menaçante et poétique. Ce qui colle parfaitement à la dualité du récit, où Valerie Leon est impressionnante dans son double rôle. De plus, Seth Holt marie cela avec une attention très particulière sur les décors. Sans jamais hésiter à insister sur les inserts et le motif de la répétition (pour bien nous rappeler les accessoires importants au récit), le cinéaste veut garder un rythme très choc en jouant sur la symbolique. Tout comme Roy Ward Baker lorsqu’il se retrouve à mettre en scène DR JEKYLL ET SISTER HYDE : dans un Londres obscur et très brumeux, il n’hésite pas à accompagner son esthétique et sa mise en scène par une bande son très appuyée (la musique d’orgue est perturbante à souhait). Un film qui devient à la fois ambiguë et décadent, où le visuel gothique est un élément phare de l’expérience.

LES CICATRICES DE DRACULA, Roy Ward Baker, 1970

Des idées qui seront reprises un an plus tard lorsque Peter Sykes met en scène LES DÉMONS DE L’ESPRIT. Un film très violent, avec énormément d’images choc, de sang et de folie. Mais surtout, il se rapproche de DR JEKYLL ET SISTER par son intention de créer des relations décadentes entre les personnages. Avec un érotisme tout aussi suggéré, mais assez gênant, le film de Peter Sykes offre une expérience gothique très particulière dans ces décors très vastes (les scènes dans les escaliers sont renversantes). Tout comme le film de Roy Ward Baker, le résultat est dans le juste milieu entre le romantisme et l’exubérance qui déforme la réalité. Puis il y a les films qui ont une construction plus « classique » dans le style Hammer. SUEUR FROIDE DANS LA NUIT de Jimmy Sangster est davantage un film de mise en scène et de narration, plutôt qu’un film visuel. Même si l’image joue beaucoup sur l’ambiguïté entre les personnages, le gothique et la violence n’impressionnent pas vraiment. Une sobriété qui est loin d’être un défaut, car le cinéaste préfère créer la suggestion et brouiller les pistes. Ce qu’il a également effectué avec LES HORREURS DE FRANKENSTEIN, où le visuel est bien plus ancré dans le drame réaliste, plutôt que de chercher à s’aventurer dans le choc. C’est exactement le cas de UNE FILLE POUR LE DIABLE, mis en scène par Peter Sykes. Dans ce film, le ton très dérangeant (voire malsain) sert très bien l’accentuation de la nudité et de l’effusion de sang. Pourtant, Peter Sykes n’ajoute aucun effet visuel ou fantastique à ses images. Tout est clair dans la frontière marquée entre le Bien et le Mal, sans aucune exubérance, pour mieux capter la dimension troublante et incongrue des événements du récit.

DR JEKYLL ET SISTER HYDE, Roy Ward Baker, 1971

Parmi tous ces gestes où l’on reconnaît le style propre à la Hammer, il y a quand même des tentatives d’évolution. Parce que la fin des années 1960 est une période difficile pour la société, aussi bien financièrement que qualitativement. Essayant de se renouveler, des idées émergent ici et là, dans différents films. Comme Nicolas Stanzick l’évoque dans plusieurs des bonus, les membres dirigeants de la Hammer (à cette époque) se sont plusieurs fois réunis pour trouver de nouvelles formules, de nouvelles idées. Tout en voulant rester fidèles à ce qui a fait leur succès, ils ont cherché à prendre de nouvelles directions. Déjà avec LES CICATRICES DE DRACULA, Roy Ward Baker crée une rupture narrative avec tout le reste du cycle Dracula. Pas vraiment dans une continuité narrative, il renouvelle les motifs narratifs pour s’appuyer sur des « moments ». Tout ce qui arrive aux personnages est désormais de l’ordre (presque) du hasard, créant une nouvelle histoire de Dracula moins fine mais plus perverse dans la construction de la violence (plus gratuite). Toutefois, cela crée un manque de logique à plusieurs reprises dans le développement des personnages, avec notamment de fortes ellipses qui font office de raccourcis narratifs très bancals. Sauf que, à vouloir être dans le choc constant, la mise en scène en devient très paresseuse et pas très subtile. Il est possible de faire les mêmes reproches à LES HORREURS DE FRANKENSTEIN de Jimmy Sangster, avec l’effet choc en moins. Frisant parfois le ridicule dans l’écriture, le film est beaucoup trop long à introduire ses personnages. Mais surtout, il s’agit d’un film qui ne montre jamais de sang, qui fait preuve de très peu de violence, étant même très peu effrayant ou angoissant. Néanmoins, Jimmy Sangster intègre le fantastique et l’horreur dans le hors-champ, comme si le gore et le choc sont dans l’invisible et la suggestion. Ce qui lui permet d’explorer l’impact psychologique des personnages (même si parfois grossièrement) pour aller vers un ton ironique.

LA MOMIE SANGLANTE, Seth Holt, 1971

Une touche d’humour noir que l’on retrouve dans le très agréable DR JEKYLL ET SISTER HYDE de Roy Ward Baker, où la mise en scène très graphique (dans ce Londres obscur et brumeux) crée un charme au-delà de l’érotisme. Comme si le film est empreint d’un ton hybride qui lui permet d’être aussi violent que dramatique. Un mélange qui se retrouve dans LA MOMIE SANGLANTE de Seth Holt, bien plus sympathique qu’il ne paraît. Le cinéaste a eu la bonne idée de marier deux époques : même si le récit se déroule dans un décor contemporain, il y a de multiples évocations de l’Egypte ancienne. Même si le film est très bavard et manque de moments marquants, il est une surprenante expérience de gore qui se réveille doucement pour se diriger vers un final dantesque. Un geste qui se rapproche de ce qu’a proposé Peter Sykes avec UNE FILLE POUR LE DIABLE, où il n’hésite jamais à construire un rythme en crescendo, à faire augmenter la température de l’opposition (entre Richard Widmark et Christopher Lee) petit à petit, pour tout livrer dans un final saisissant. Comme Seth Holt qui intègre le fantastique dans le réalisme du contemporain, Peter Sykes place l’horreur dans l’imaginaire. Dans son film, le fantastique semble appartenir aux rêves, aux cauchemars et donc à l’esprit – et non plus au corps. Malgré cela, le film souffre d’une lourde décision qui ne permet pas au fantastique de prendre toute l’ampleur attendue. En tournant hors des studios, l’ambiance est très aléatoire et peu maîtrisée. L’étrangeté devient parfois assez gênante, avec des scènes assez tordues. Peter Sykes a presque le même soucis avec LES DÉMONS DE L’ESPRIT, où son ambiance est tout aussi aléatoire tant il multiplie les points de vue et les espaces. Avec un récit à plusieurs arcs, sans qu’ils ne se connectent vraiment, le cinéaste désoriente complètement l’ambiance de son film. Même si la proposition a quelque chose d’expérimental (avec beaucoup d’ambiguïté et de rebondissements), elle convainc surtout par la performance du casting qui semble possédé par leurs rôles. Il faut dire qu’on se croirait dans une variation du mythe du loup-garou, où le fantastique se tourne vers le réalisme. Abandonner le fantastique progressivement est également le projet de Jimmy Sangster avec SUEUR FROIDE DANS LA NUIT. Œuvre assez surprenante de la part de la Hammer, où l’horreur devient thriller. Malgré une introduction bien trop longue et un récit qui a beaucoup de mal à s’orienter dans une idée précise, l’abstraction de la violence fait tout l’intérêt du métrage. En devenant thriller, les codes habituels du « style Hammer » font de ce film une belle curiosité où l’image devient le non-dit du genre.

SUEUR FROIDE DANS LA NUIT, Jimmy Sangster, 1972

Au final, malgré les défauts de plusieurs films, ce coffret est un plaisir immense pour (re)découvrir toutes ces propositions en temps de crise chez la Hammer. Il y a une grande volonté, via ce corpus de films, de poser un regard sur ce qui représente la Hammer : à travers la multitude de personnages légendaires, la diversité artistique et la variation des approches pour renouveler une méthode. Pour accompagner cette sélection, il y a un grand soin à transmettre l’importance de ces films dans leur simple existence, à travers la présence de plusieurs bonus. Pour commencer, il y a minimum un bonus par film : une présentation par film, en français, par Nicolas Stanzick (journaliste et historien du cinéma). Toutefois, il est possible d’être vite lassé par ces bonus en français, tant ils semblent ne servir qu’à raconter les anecdotes des genèses des films, en suivant toujours le même schéma : scénario, production, casting, etc. Chaque bonus est très long, très monotone, délivrant d’innombrables « euh » comme un fouillis d’informations. Il y a même parfois l’impression que chaque bonus est une excuse pour raconter l’Histoire de la Hammer. Ils restent tout de même bienvenus pour comprendre d’où viennent ces films, qui n’ont pas été créés par hasard. Les quelques bonus anglais sont plus passionnants, plus variés dans l’approche des films avec une analyse des intentions des cinéastes. Les bonus anglais complètent parfaitement les bonus français, certes, mais ils ont l’avantage d’offrir des grilles de lecture sur les films. C’est ce que l’on retiendra du coffret : permettre de replonger dans une période ambiguë de la Hammer. C’est en cela qu’il est indispensable.

LES DÉMONS DE L’ESPRIT, Peter Sykes, 1972
UNE FILLE… POUR LE DIABLE, Peter Sykes, 1976