Pourquoi Boyhood est pour moi le meilleur film de tous les temps ?

Le 23 août dernier, le site britannique de la BBC a publié la liste des 100 meilleurs films du millénaire selon l’avis de 177 critiques cinéma répartis sur les cinq continents. Même si l’on peut actuellement déplorer une mise à l’écart progressive du cinéma indépendant au profit des blockbusters survitaminés à gros budget, il est toujours important de les estimer, de prendre en compte les nominations, les récompenses, le casting, le synopsis et les critiques pour déterminer si un film vaut la peine d’être vu et considéré.

Le cinéma a offert au monde des films fantastiques dans tous les genres, que ce soit Citizen Kane (1941), Ben-Hur (1960), Le Silence Des Agneaux (1991), Forrest Gump (1994), Fargo (1996), Titanic (1997) et encore Gladiator (2000). Le 20ème siècle a définitivement été un siècle prolifique qui nous a donné, à nous, et aux générations précédentes, des instants de fiction d’un rare impact. Le début du 21ème siècle fut aussi une époque charnière pour les enfants de l’an 2000, nous les Millenials, avec des biopics intenses tels que Lincoln (2012, mémorable Daniel Day-Lewis !), Monster (2003) que Le Dernier Roi D’Ecosse (2006), des moments de pure action avec les Fast And Furious et de magie avec les Harry Potter, comme des crises de larmes avec A La Recherche Du Bonheur (2005), Eternal Sunshine Of The Spotless Mind (2004) ou Million Dollar Baby (2004).

Au même titre que nos parents avant nous, ces films qui ont marqués nos adolescences seront nos classiques que nous transmettrons probablement à nos enfants. Notre actuel 21ème siècle a fait naître des œuvres tout aussi magistrales les unes que les autres et ces 16 dernières années ont justifié cette théorie. Avant de révéler la liste complète des 100 meilleurs films de notre siècle, établie par des critiques, professeurs et journalistes érudits du milieu, je voudrais cependant mettre en avant un film qui figure dans cette liste et qui pour moi, aurait dû mériter la première place. C’est un film que peu connaissent, mais qui gagne beaucoup à l’être et qui fait partie des joyaux du 7ème Art plus qu’aucun autre : Boyhood, de Richard Linklater, sorti en 2014.
Il y a 5 raisons que je vais citer qui justifient pourquoi j’ai choisi Boyhood comme étant le film le plus important jamais crée et pour moi, le meilleur film de tous les temps.

1) Un concept sans précédent

En 2002, Richard Linklater a décidé de créer une histoire selon un procédé jamais encore testé au cinéma : étaler un film sur plusieurs années autour de la vie de famille d’un jeune garçon de son enfance jusqu’à son entrée dans l’âge adulte. Le script du film n’avait pas été encore finalisé quand le tournage a commencé en mai 2002 avec un budget de 2 millions et demi de dollars. Le tournage s’est achevé en 2013 et le film a été bouclé en 45 jours répartis sur 12 ans, ce qui est un fait inédit dans l’histoire du cinéma moderne. Le film débute avec le regard au loin de Mason Evans (Ellar Coltrane), six ans, pour s’achever sur son regard au loin, cette fois à 18-19 ans.

2) Une retranscription de la vie en temps réel

La force de Boyhood réside dans la manière dont Linklater filme le temps qui passe. Durant les 2h45 que durent le film, on voit le héros, Mason, se transformer progressivement en jeune adulte sans le moindre effet. En toute normalité. Rien dans le procédé de tournage, ne laisse présager qu’il s’agit d’une fiction tellement le réalisme est saisissant. On voit Mason se débattre avec les réalités du quotidien entre une mère, Olivia (campée par une bouleversante Patricia Arquette dont l’Oscar ne fut pas volé du tout), désespérée et désespérante, un père, Mason Sr. (brillant Ethan Hawke) peu présent mais responsable et une sœur, Samantha (Lorelei Linklater), pénible à souhait. On voit les Evans prendre de l’âge juste sous nos yeux et vivre des expériences de la vie comme dans n’importe quelle famille : déménagements, divorce, violences conjugales, intégration à l’école, puberté, mue de la voix, premier rencard, premier baiser, premier porno, première fois, premières cigarettes, premières soirées, discussions gênantes avec nos parents sur le sexe et les filles, jeux d’enfants dans la cour de récré, l’élection d’Obama, la sortie de l’iPod, le passage de MySpace aux réseaux sociaux, la sortie de la PlayStation 2, l’effondrement des Tours Jumelles, la sortie des Twilight… toutes ces choses plus ou moins ordinaires que nous, la génération des années 90, a connu d’une manière plus ou moins différente selon les parcours de vie, sont représentées avec un réalisme tellement pointu, tellement saisissant, que la seule véritable chose qui nous fait remarquer que le temps passe, c’est la bande-son qui se modernise au fur et à mesure que le physique des acteurs s’améliore ou se détériore.

3) Un film qui parle à une génération

S’il y a bien une chose qu’avoir regardé ce film m’a permis de bien réaliser est que la vie passe à une vitesse folle sans que nous ayons ni conscience ni contrôle de ses effets sur nous sauf si l’on se regarde dans le miroir, si l’on recroise un ami du collège ou du lycée désormais parent, si notre ami d’enfance d’avant est notre ennemi d’aujourd’hui, si l’on retourne dans la ville de notre enfance après une longue absence où que nos parents nous racontent une anecdote de l’époque de la crèche dont on n’arrive pas à se rappeler.

Chaque année est un passage dont on ne réalise l’impact qu’après coup. L’innocence de Mason au début du film disparaît en même temps qu’il prend de l’âge et l’entrée dans le monde des adultes est défini par son départ à l’université, laissant sa mère brisée par la vitesse avec laquelle sa vie et celle de ses enfants sont passées. Notre génération, née au début des années 90, arrive progressivement à cette conclusion avec laquelle on se débat encore quand, au détour d’un changement de chaîne, d’une chanson autrefois l’hymne de nos étés à la piscine ou d’une vieille photo de l’ancienne bande du quartier désormais séparée aux quatre coins du monde, on se rappelle de ce bon vieux temps ou notre réelle préoccupation était d’avoir le plus beau cartable de l’école. Nous sommes une génération effectuant la difficile transition vers l’âge adulte avec l’incertitude, le regret, la nostalgie et ce tiraillement instinctif entre l’excitation d’écrire le reste de notre histoire et l’effroi de perdre l’insouciance de notre jeunesse. On ne réalise pas une seconde que les changements au début si imperceptibles nous rapprochent inévitablement vers la fin de ce qu’on a toujours connu de simple et agréable. On craint de ne pas être ceux qu’on rêvait d’être à 10 ans, on craint de rester dans notre petite zone de confort, on craint de ne pas vivre des choses aussi exceptionnelles de ce qu’on aime appeler « l’ancienne », on craint de voir nos amis avec qui on a grandi nous oublier, on craint de perdre ceux qu’on aime, on craint la distance… on craint le temps, ce monstre sans visage, sans forme qui nous prend chaque seconde, chaque souffle, pour nous transformer en adultes dans un monde rempli de turpitudes.

Boyhood agit de manière à nous réconforter sur le passage du temps que l’on a tous craint étant enfants. A travers le regard de Mason, on regarde notre enfance se muter en adolescence puis en âge adulte. Et sans même que l’on se demande, on se retrouve la vingtaine débutée ou presque achevée à se demander : « Mais qu’est ce qu’il s’est passé ? » et ce peu importe si l’on est devenu une bonne personne ou un raté total.
L’impression que laisse ce film après visionnage, peu importe si la vie de Mason fut similaire à la nôtre, est que tout ce qui arrive dans la vie, arrive pour une raison. Le temps, comme Renaud disait, est assassin et emporte avec lui, les rires des enfants. Alors, si ce qu’il disait dans « Mistral Gagnant » est vrai, Linklater est l’assassin du cinéma qui a emporté l’innocence pour en faire de l’expérience.

4) La nostalgie et une manière de tourner la page

S’il y a bien une thématique que Linklater exploite avec maestria dans ses films et qui définit le problème de ma génération, c’est la nostalgie et le sentiment de culpabilité que l’on ressent quand on grandit, quand on doit tracer notre propre vie indépendamment de nos parents et tout ce qu’on a jamais connu. Chaque passage dans la vie de Mason, de son premier jour de crèche à l’obtention de son bac, est identifiable par notre propre expérience. Mason, de par sa propre nostalgie, parle à la tristesse que chaque personne peut ressentir à l’idée de grandir trop vite. Le film se déroule sans action et paraît ennuyeux, mais il montre la vie. La vie n’est pas un divertissement constant où l’on passe son temps à rire et à voir des voitures exploser sur la route, non. C’est répétitif, routinier et parfois éprouvant. Boyhood se nourrit de cette routine pour créer une expérience rare pour les spectateurs : revivre son enfance avec les aléas qu’elle contient pour arriver à la conclusion que l’on connaît, c’est-à-dire la personne qu’on est aujourd’hui au présent. Linklater présente son œuvre comme un photographie à la Tolstoï, où la vie serait une fable faite de transformations et de tribulations, qui paraît lent quand on la regarde d’un point intérieur car on ne se voit pas grandir, mais si rapide quand on regarde une vieille photo. Et c’est cet effet que Boyhood procure : rouvrir une boîte remplie de photos aves des souvenirs plus ou moins agréables ou douloureux, les regarder avec étonnement et amertume, la refermer et aller de l’avant. Le film est un craquèlement progressif du cœur qui émeut, touche, bouleverse et sensibilise sur le temps. Mais il permet réellement de faire la paix avec le passé que l’on a, de se dire que ce qui a eu lieu, ces moments nous prennent, mais que les décisions que l’on a prises à ces moments, ont servi à faire notre présent. Un livre qu’on ouvre et qu’on referme avec une pointe de regret mais énormément de fierté. Une représentation déchirante de la condition humaine.

5) Jamais un film n’avait été autant plébiscité

Boyhood, c’est un succès dépassant de 12 fois son budget avec près de 46 millions de recettes, c’est également un succès critique universel avec 100/100 sur le site Rotten Tomatoes, c’est le « Meilleur Film du 21ème siècle » selon Metacritic, un Oscar (meilleur second rôle féminin pour Patricia Arquette) pour six nominations dont Meilleur Film, Meilleur Réalisateur et Meilleur Second Rôle Masculin (Ethan Hawke), trois Golden Globes (Meilleur Film Dramatique, Meilleur Réalisateur et Second Rôle féminin) pour cinq nominations, un Ours d’Argent du Meilleur Réalisateur, trois BAFTAS (Meilleur Film, Meilleur Réalisateur et Meilleur Second Rôle Féminin) pour cinq nominations soit en tout près de 100 distinctions reçues dans le monde entier toutes cérémonies confondues, c’est le film de l’année 2014 par toute la presse étrangère, même de la décennie. Rarement un film n’avait été autant salué de manière si unanime au point tel qu’il figure dans la liste des meilleurs films jamais conçue.

En définitive Boyhood, car il a réussi de manière extrêmement réaliste à donner un visage au temps et à recréer avec un sens inégalé du tragique et du réel, le processus de ce qu’est de grandir, sans verser dans le mélodrame et le teen drama basique, est pour moi le film le plus abouti de tous les temps et il n’y en aura jamais de tel après lui. Un chef-d-œuvre d’une beauté lacrymale.

Voici désormais le top 10 des 100 meilleurs films du 21ème siècle. La liste complète peut être trouvée sur le site de la BBC. A vous désormais de vous faire un avis. (PS : je vous conseille Boyhood, Spotlight, Eternal Sunshine of the Spotless Mind, There Will Be Blood…). Bonne séance ! Ils ont oublié Room et Million Dollar Baby, c’est un COMBLE !
1. Mulholland Drive (David Lynch, 2001)
2. In the Mood for Love (Wong Kar-wai, 2000)
3. There Will Be Blood (Paul Thomas Anderson, 2007)
4. Spirited Away (Hayao Miyazaki, 2001)
5. Boyhood (Richard Linklater, 2014)
6. Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Michel Gondry, 2004)
7. The Tree of Life (Terrence Malick, 2011)
8. Yi Yi: A One and a Two (Edward Yang, 2000)
9. A Separation (Asghar Farhadi, 2011)
10. No Country for Old Men (Joel and Ethan Coen, 2007)