45 Ans

Écrit et Réalisé par Andrew Haigh.
Avec Charlotte Rampling, Tom Courtenay, Geraldine James, Dolly Wells, David Sibley.
Grande-Bretagne – 95 minutes – 27 Janvier 2016.

Le film de Andrew Haigh s’inscrit dans une vraie tradition du cinéma britannique de l’après Seconde Guerre Mondiale, ce genre qui leur est propre, nommé le Kitchen Sink Drama. Il s’agit d’une chronique où un événement dramatique vient bouleverser les rapports entre les personnages. Telles des histoires de comptoir en France, les britanniques appellent cela des récits de cuisines. C’est, en quelque sorte, les tragédies familiales au sein de la propriété. Ici, le personnage de Charlotte Rampling découvre que son époux de longue date (joué par Tom Courtenay) aimait une autre demoiselle avant elle, et qu’il ne l’a jamais oublié. Ceci va changer leur relation.

Intimité bouleversée
Dans sa mise en scène, Andrew Haigh choisit de capter l’intimité de ses protagonistes. Avec cela, il permet à son film de construire les sensations et les émotions des personnages. Ils sont à la fois attachants et émouvants. C’est tous les petits gestes du quotidien, et les attitudes d’un couple, qui forgent les séquences à venir et les réactions. En explorant l’intimité, le long-métrage arrive à dresser le portrait d’un couple du troisième âge. En étant aussi précis dans ce qui constitue les personnages, cela devient la cause et la solution d’un couple perturbé.

Dans le même temps, la mise en scène propose un effet de décalage avec l’habitude. L’intimité du couple est comme fissurée de quelque part, obligeant des attitudes nouvelles à apparaître. Ce comportement est la source d’une certaine irrationalité dans la relation du couple. Parce que la nouvelle que reçoit l’époux est si importante émotionnellement, que la mise en scène offre des instants ambiguës et sous-entendus. De plus, le couple n’interagit plus de la même manière. Il se crée une petite tension entre les deux, mais le faux-semblant sera la priorité. En cela, l’intimité ne sera plus mêlée, mais elle sera tronquée en deux parties (les deux personnes du couple).

Poésie émotionnelle
Avec cette intimité, tout part des personnages. Ils sont la source de toutes les situations, constituant un enrobage qui s’apprête à exploser. La flamme qui animait les deux personnages a diminué en grandeur et chaleur. Désormais, il s’agit d’un feu doux qui fait pression sur le moral des protagonistes. Ce feu doux s’exprime notamment par l’intimité, où la mise en scène et l’esthétique forment la séparation spaciale des corps. Souvent proches au départ, la révélation les sépare et les divise dans l’espace. Et surtout, quand l’un(e) est dans la lumière, l’autre sera parfois dans le flou. Sinon, quand l’un(e) est au premier plan, l’autre est au second plan. Mais la flamme s’éteint petit à petit, telle une lassitude de la répétition. Mais surtout, c’est ce feux doux qui va les garder ensemble.

Dans l’esthétique, le film révèle une vraie poésie intime et émotionnelle. A de multiples reprises, les espaces peuvent devenir la projection des émotions des personnages qui y apparaissent. La plupart du temps, il s’agit d’illuminer et de mettre en valeur les couleurs de la campagne. Le naturalisme du long-métrage le propulse dans une esthétique poétique, qui tend vers une ambiance presque onirique. L’esthétique poétique de la campagne est l’environnement prioritaire pour le relâchement ou la création de la tension. Selon l’esthétique d’un espace, celui-ci peut être la libération tant désirée ou alors le gouffre qui absorbe de plus en plus les personnages. Un onirisme parce que cette opposition dans l’esthétique n’est qu’une croyance de la part des protagonistes : rien de l’environnement naturel et du changement de l’intimité quotidien ne changera le bouleversement au sein du couple.

Intemporalité
Le seul élément qui peut tout changer, c’est l’intimité et la complicité qui se construits au fil des années pour le couple. Le film compose son présent avec le passé (le fameux secret) et le futur (quel avenir pour le couple ?). Le moyen utilisé est le cadrage : en agençant pratiquement que des cadres fixes tout au long du film, le cinéaste crée un portrait digne des albums photos (la métaphore se retrouve dans la séquence finale). Ce portrait est très intemporel, parce qu’il joue comme une suite de photographies qui mêlent les habitudes et les sentiments du passé, avec ceux du présent, en songeant à ceux de l’avenir.

Le cadre fixe est en accord avec la mise en scène : quelque chose de posé et de délicat, qui cherche à explorer l’expression sincère d’un comportement. Celui-ci exprime l’inquiétude face à une situation donnée, parce que les réactions ne sont pas prévisibles. Le long-métrage, dans son montage, ne donne jamais à voir de quoi l’avenir sera fait. Ainsi, la fête pour l’anniversaire de mariage est contrainte à une explosion émotionnelle. Le film est un feux doux dans une poésie esthétique explorant un portrait intemporel envoûtant et attachant, parce que l’intimité exprime la possible explosion de l’avenir.

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4 / 5