U2 – Songs of Experience

En 1976, un jeune garçon passe une annonce dans son lycée. Il est batteur et cherche d’autres personnes pour créer un groupe de rock. 41 (!!) ans après, après 23 Grammys, une inscription au Guinness Book et 13 albums, U2 sort Songs of Experience.

En 2014 sortait Songs of Innocence suivi d’une tournée et d’une annonce pour un autre disque, Songs of Experience. Il a finalement fallu attendre 4 ans pour pouvoir entendre l’intéressé. Officiellement, l’élection de Trump a chamboulé le groupe, voulant changer certaines paroles pour s’inscrire plus dans l’époque. Officieusement, Bono, sans s’être attardé sur le sujet, a approché la mort, selon ses dires. Cet album a finalement été écrit comme une lettre d’adieu à sa famille.

Il y a quelques semaines, U2 sortait le premier single, leur pire chanson depuis bien longtemps, avec You’re the Best Thing about me. Celui d’après a rehaussé quelque peu le niveau sans pour autant être extraordinaire (Get Out of Your Own Way). C’est donc avec une certaine crainte que je lançais Songs of Experience.

Et pourtant, 12 ans après être tombé amoureux du  groupe un soir de Juillet 2005 au Stade de France, les quatre irlandais arrivent encore à me surprendre.

Songs of Experience s’ouvre de façon très inattendue : du synthé, la voix de Bono semblant venir d’ailleurs et du vocoder en fond façon Bon Iver. « Love is all we have left » nous susurre-t-il en guise d’introduction. La chanson est si épurée qu’on croirait presque à un poème, ou un son de l’au-delà. Certaines paroles laissent d’ailleurs penser que Bono l’a écrite de ce point de vue. Mais c’est véritablement le deuxième morceau qui donnera sens à tout l’album : « Shouldn’t be here because I should be dead » (Je ne devrais pas être là parce que je devrais être mort). Lights of Home (c’est son nom) parlera d’ailleurs ouvertement et pendant près de 4 minutes, de mort. The Edge sort un superbe solo et la chanson est un véritable tour de force, en s’imposant comme l’une des meilleures de l’album.

Etrangement, You’re the best thing about me passe beaucoup mieux dans l’enchaînement de l’album. Chanson écrite pour sa femme (« Tu es la meilleure chose à mon propos ») reste tout de même de loin la chanson la plus faible de l’album. Il en va de même pour Get out of your own way (écrite pour ses filles cette-fois), néanmoins très sympathique, même si on a parfois l’impression d’entendre une bande démo de Beautiful Day. Celle-ci se clôture sur Kendrick Lamar, qui ouvre également la suivante, très rock et extrêmement réussie American Soul, parlant du rêve américain (« The end of a dream, the start of what’s real. Let it be unity, let it be community for refugees like you and me« ). American Soul est d’ailleurs la première chanson de l’album (avec Lights of Home, mais c’est plus de l’ordre de l’anecdotique tant c’est léger) a faire un vrai parallèle avec Songs of Innocence (rappel : les deux étaient annoncés comme un diptyque) puisqu’elle reprend allègrement des passages de Volcano, chanson faiblarde du précédent opus, pour mieux la transcender. Toujours politique, l’enchainement continue parfaitement vers Summer of Love, également sur les réfugiés, où Edge s’amuse à sortir un très bon riff aux sonorités Ed-Sheeranienne. Alep y est d’ailleurs ouvertement cité.

Red Flag Day (encore sur la crise des réfugiés) est sûrement le morceau le plus réussi de l’album et un des meilleurs morceaux de U2 depuis quelques années. Avec un son épuré, une guitare violente, la basse et la batterie qui ressortent bien, elle n’est pas sans rappelée les grandes heures de l’excellent album War d’où est issu Sunday Bloody Sunday. Bono s’ouvre ensuite également à ses fans par la suite avec The Showman, ambiance 60s façon Beach Boys.

Avec The Little Things That Give You Away, Bono semble s’exorciser de ses démons tout en gardant un regard très réaliste (d’aucun diront pessimistes) sur son futur (The end is here). Landlady, ensuite, est jolie mais assez anecdotique. C’est pour mieux repartir sur avec l’excellent The Blackout qui risque bien de faire décoller les foules en concert avec son terrible groove de basse. Love is Bigger than Anything in its way est du U2 pur jus dans sa mélodie et ses arrangements mais extrêmement efficace. Les paroles y sont pourtant assez sombres sur la vision de l’amour malgré son ton très fun.

Songs of Experience se clôture comme il s’est ouvert : avec une sublime chanson épurée comme tout droit sorti de l’au-delà. 13 (There is a light) est écrite pour les fils de Bono, où il se projette à travers eux (This is a song for someone like me). C’est aussi encore une fois un pont avec Songs of Innocence puisqu’elle reprend une bonne partie des paroles de Song for someone.

Si Songs of Innocence était un album extrêmement personnel sur la jeunesse du groupe et avec quelques belles chansons, il était tout de même brouillon et très bruyant par moment. Ici, Bono livre sûrement ses paroles les plus personnelles et les plus réfléchies. Visiblement, ses diverses expériences lui ont fait prendre conscience qu’il n’était pas invincible comme il avait pu le croire par le passé. C’est également un album très cohérent, où les titres s’enchaînent parfaitement, chose que l’on avait pas entendu chez U2 depuis bien longtemps, et ça fait bien plaisir de les retrouver comme ça.

4 / 5