The Last Girl – celle qui a tous les dons

Pour tous ceux qui s’intéressent au paysage cinématographique et télévisuel britannique, Colm McCarthy n’est pas un inconnu. Pour les autres, surement. Parce que Colm McCarthy a déjà une belle carrière derrière lui : issu de la télévision, il notamment réalisé des épisodes de MURPHY’S LAW, des TUDORS, de RIPPER STREET, un de DOCTOR WHO et un de SHERLOCK, puis quelques uns des ENQUÊTES DE MORSE, de PEAKY BLINDERS. Au cinéma, il s’agit de son deuxième long-métrage, après OUTCAST en 2010 avec Kate Dickie et Niall Bruton.

THE LAST GIRL n’est pas vraiment un film d’horreur comme OUTCAST, il n’a pas l’intention de reproduire une ambiance. Il s’agit d’un univers post-apocalyptique et non un film de zombies. Ainsi, Colm McCarthy n’a pas besoin de développer tout un tas de scènes violentes, ni de conforter de nombreux codes du genre. Le cinéaste est davantage dans l’exploration d’un groupe. En étant un film post-apocalyptique, THE LAST GIRL réussit à être plus humain qu’il ne peut y paraître. Le film est d’une intelligence morale rare pour le genre, naviguant entre l’ambiance horrifique, la narration du survival thriller et quelques moments où le ton est à l’humour noir.

Un film qui se concentre davantage sur la question de la différence, la question du vivre ensemble entre étrangers. Sauf que THE LAST GIRL n’est pas dans le discours moralisateur explicite, il intègre cette question dans une photographie contemplative, dans une mise en scène rigoureuse sur le placement et le mouvement. Dans chaque séquence, la lumière permet la progression du mouvement, alors que l’obscurité implique la stabilité ou la lenteur du mouvement. Colm McCarthy travaille sur deux intentions : toujours se placer dans des lieux que le spectateur sait être dangereux (soit par son architecture idéale pour tendre des pièges, ou par son immensité silencieuse inquiétante) et y intégrer soit un temps-mort incertain (en caméra rapprochée qui joue sur l’angoisse du hors-champ et intensifiant la bande sonore) ou un mouvement doté de fatalité (plus ou moins élevée, souvent en plan moyen et en cadre fixe pour travailler le temps dans l’attente).

THE LAST GIRL est donc un film qui travaille beaucoup sur ses décors, sur les espaces que les personnages traversent. La taille des espaces varient selon l’intensité du rythme et de l’ambiance, comme si l’ouverture sur un espace implique inévitablement un resserrement par la suite. Les espaces sont une épreuve physique pour les personnages : même si un lieu est vaste / ouvert, THE LAST GIRL privilégie la notion de groupe. C’est là que l’idée du survival s’implante : parce qu’avec ce groupe qui uniformise ses attitudes, se crée une sorte de dernière communauté vivante. Ainsi, les personnages humains deviennent comme les étrangers de ce nouveau monde. Colm McCarthy réfléchit alors au temps dans le montage, à la manière dont le rythme peut dicter la mise en scène des espaces. En revenant toujours au duo espace vaste / espace étroit, le film explore la déconstruction du mouvement. Les petits espaces sont alors les lieux où les personnages perdent leur raison et se livrent à la folie.

Cela permet au cinéaste d’opposer constamment le genre de l’horreur avec le thriller, le second prenant le pas sur le premier. Grâce à une ambiance angoissante et qui joue parfaitement sur le hors-champ, sur la suggestion des travellings, THE LAST GIRL est davantage dans le pouvoir d’imaginer une situation avant d’en dévoiler tous les détails. Il y a moins d’intérêt pour le « qui va mourir » que pour le « comment ils vont mourir ». C’est alors en trouvant de nouvelles idées, en renouvelant son ambiance, que Colm McCarthy réussit à faire un thriller intime, davantage qu’un film de genre. Cela s’entend avec la bande sonore, qui arrive à créer la nuance : la violence n’est pas surplombée par du son ; au contraire, il s’agit de d’abord jouer sur le temps dans l’image (le rythme) que dans les détails sonores. D’où la présence que d’une seule musique à la bande originale, qui revient à plusieurs reprises : cela indique que l’ambiance n’est pas instantanée, mais convoque aussi les séquences passées et l’appréhension du futur.

On y retrouve le style photographique que Colm McCarthy a employé dans PEAKY BLINDERS ou dans RIPPER STREET : cette lumière qui embrasse les visages pour en faire ressortir toute la vitalité du vivant. Alors que, tout autour, l’austérité est le signe du chaos, du vide. Le seul espoir est dans les jeux de lumière sur les visages et les corps des protagonistes. Sinon, les espaces sont comme des ruines qui, dans les travellings, restent pourtant figés comme des idéaux d’échappatoire. L’espace n’est plus un imaginaire, un endroit où les personnages tentent en vain de s’installer. L’espace n’est qu’un lieu de passage car il est un lieu de fatalité, où tout se ressemble, et dont chaque détail figé est la certitude que l’être humain vit dans les maux.

Le long-métrage mentionne notamment le mythe de Pandore, pour insuffler un côté légendaire à la quête des personnages. Cela contribue à une sorte de maturité du genre, qui ne fait pas nécessairement attention aux codes du genre, mais davantage attention au caractère individuel des personnages. Il est rapidement compréhensible que THE LAST GIRL ne se repose pas sur des faits angoissants / horrifiques, même si une longue scène de violence est un élément déclencheur. Mais le long-métrage s’appuie sur le traitement de chaque personnage indépendamment les uns des autres, tout en fonctionnant en groupe. Leurs attitudes sont uniformisées, mais leurs relations et leurs personnalités sont les moteurs des mouvements. C’est ici qu’il y a maturité du genre : THE LAST GIRL se fiche des « affamés » (le nom des zombies dans le film, idée de génie qui les rend plus humains – seuls les britanniques pouvaient faire cela) car il tend vers l’étude du mouvement à travers les relations humaines compliquées.

THE LAST GIRL – CELLE QUI A TOUS LES DONS de Colm McCarthy
Avec Sennia Nanua, Gemma Arterton, Paddy Considine, Glenn Close, Fisayo Akinade, Dominique Tipper, Anamaria Marinca, Daniel Eghan, Anthony Welsh.
Royaume-Uni – 1h52 – 28 Juin 2017

4 / 5