Seule la terre

Que peut-on aimer avec passion dans le cinéma britannique ? Quel est cet élément qui peut à la fois faire souffrir et soulager les personnages ? No more question, il s’agit des paysages. Le cinéma britannique, dans sa grande majorité, est un cinéma d’espaces. GOD’S OWN COUNTRY (en français « Seule la terre ») est un film d’espace(s). Rien que dans son titre original, il le dit. Même dans le titre français, c’est expliqué. L’espace, la terre, la ferme des personnages sont les éléments moteurs du récit et de la mise en scène. Sans les espaces, le récit ne peut exister, et le film n’aurait aucune cohérence.

Francis Lee traite l’espace comme une marque d’identité, d’appartenance. Ses personnages sont directement liés à leur ferme : l’espace qui les entoure fait partie de leur intimité, de leur vitalité. Quand l’un des personnages a un problème de santé, c’est dû au travail de ferme qui a duré de longues années. Puis, que ce soit avec ou sans vêtements, les personnages sont en connection physique avec l’espace. Tout au long du film, ils entretiennent l’espace tout comme ils affirment leur appartenance à celui-ci. Ils ne peuvent pas s’en détacher, car son entretien permet d’éviter l’auto reconstruction. Francis Lee, à travers sa mise en scène calculée mais déambulatoire, fait comprendre qu’il y a une sorte de désespoir et de mélancolie. L’espace de la ferme est une pommade.

Un motif qui se retrouve également dans le parallèle entre le traitement des animaux et les relations humaines. La manière de traiter les animaux de la ferme, ainsi que celle de travailler la terre, est exactement le contraste au manque de tendresse envers les personnages. Le film se pose sur un postulat, dont il a l’objectif d’éradiquer, dans lequel l’amour et la grâce sont absents. Le protagoniste, alors un jeune homme, est piégé dans cet espace où le seul geste de tendresse provient de la caméra. Ce n’est pas pour rien que le récit se déroule au printemps, plutôt qu’à l’automne : parce qu’il y a encore une lueur d’espoir. L’environnement est tel un catalyseur, terrible au début, pour progresser vers la passion et l’attachement.

Sauf que l’ambiance est toujours aussi lourde et pesante. A travers des cadrages souvent resserrés, Francis Lee cherche à établir plusieurs portraits. Ainsi, le hors-champ et l’horizon sont autant d’images qui expriment l’impossible et l’inconnu. L’espoir va alors venir de l’intérieur, dans ce genre universel qu’est le mélodrame. C’est en intégrant un nouveau personnage, en proposant de la fraicheur et une nuance, que l’environnement finit par changer ses caractéristiques. Cette terre devient alors la promesse d’un soutien permanent, mais transformant aussi l’austérité / la mélancolie en une liberté liée aux sentiments.

La transformation prend du temps, parce que la nuance ne s’installe pas brutalement. Parce qu’il y a deux manières de vivre, il y a deux personnalités qui doivent s’unir dans le travail de l’espace. Ainsi, l’espace est un motif qui s’apprécie et se regarde à travers le temps. Francis Lee n’hésite pas à prendre son temps, à étirer quelques séquences, à poser sa mise en scène dans des lieux figés. GOD’S OWN COUNTRY est un film qui contient différentes couches de lecture, dictées par le motif de l’espace. Francis Lee parle de la famille et du soutien, de l’héritage qui s’y trouvent. Le cinéaste parle également des classes sociales, avec cette manière de survivre d’une ferme. Le cinéaste parle aussi de sexualité, sans tabou, en faisant progresser la sensualité. Puis, le cinéaste parle évidemment de l’immigration, de cette relation envers les personnes étrangères, en évoquant l’espace (la terre) comme un lieu universel, d’intérêt commun, de partage et d’amour.

SEULE LA TERRE (God’s Own Country) de Francis Lee
Avec Josh O’Connor, Alec Secareanu, Gemma Jones, Ian Hart, Naveed Choudbry
Pays : Royaume-Uni
Durée : 1h44
Sortie française : 6 Décembre 2017

4.5 / 5