Queen and Country

Écrit et Réalisé par John Boorman. Avec Callum Turner, Caleb Landry Jones, Vanessa Kirby, Aimee-Ffion Edwards, Tamsin Egerton, David Thewlis, Richard E. Grant. Royaume-Uni. 120 minutes. Sortie française le 4 Février 2015.

Pour son nouveau film, John Boorman revient sur son propre passé. Une partie d’autobiographie qui comprend un casting cinq étoiles. Caleb Landry Jones (ANTIVIRAL), Vanessa Kirby (ABOUT TIME), Aimee-Ffion Edwards (PEAKY BLINDERS), Tamsin Egerton (LECONS DE CONDUITE), David Thewlis (HARRY POTTER ET LE PRISONNIER D’AZKABAN), Richard E. Grant (DOWNTON ABBEY). Ainsi que le jeune Callum Turner, remarqué dans les séries britanniques THE BORGIAS et récemment GLUE. On pourrait alors dire que le film réunit des acteurs qui font le bonheur du cinéma et de la télévision britannique actuelle. Quand on s’attarde bien sur les films et séries que j’ai cité précédemment, on s’aperçoit que les acteurs furent choisi pour ce qu’ils montrent ailleurs. Ils abordent donc le film avec ce qu’ils font le mieux. Des acteurs qui sont taillés pour ces rôles.

This must be the place
Caleb Landry Jones joue à nouveau un rebelle déchainé. Vanessa Kirby est toujours aussi sensuelle, excentrique et drôle. Aimee-Ffion Edwards reste dans le rôle de la petite-amie posée mais néanmoins charmante. Tamsin Egerton joue à merveille l’élégance qui fait briller les yeux des autres. David Thewlis est parfait dans l’obsession du pouvoir. Richard E. Grant excelle à nouveau dans l’homme aux chevilles bien trop grosses et à la sévérité brutale. Au milieu de tous ces personnages, il y a le jeune Callum Turner. Choisi pour incarné le double de John Boorman, il a la gueule du young british que l’on aime voir dans des péripéties de l’anti-héros. C’est exactement son rôle dans GLUE, où il est confronté malgré lui à une suite d’événements alors qu’il veut simplement vivre sa vie.

Dans le même temps, ce sont des personnages qui ne paraissent jamais être là où ils devraient être. Alors que leur personnalités leur collent à la peau, les personnages sont comme une erreur avec l’espace-temps. On comprend très vite que John Boorman ne se sentait pas à sa place durant cette période. Rien ne s’accorde entre les personnages et leur environnement. Tout d’abord, prenons l’exemple des personnages secondaires. Vanessa Kirby, jouant la soeur de Callum Turner, est une fille sensuelle et surtout excentrique. Elle qui bouge sans cesse et aux attitudes grandiloquentes, est logée sur une île. Ensuite, nous pouvons faire un contraste entre les personnages de Aimee-Ffion Edwards et de Tamsin Egerton. L’une est posée et s’échappe dans ses rêves, tandis que l’autre est élégante mais piégée par les sentiments. De son côté, David Thewlis joue un soldat qui aime les ordres, qui aime hausser la voix, … et pourtant il est coincé dans cette caserne. De plus il y a Pat Shortt, jouant un soldat à l’apparence et attitudes d’un nounours, qui a la peur de partir se battre en Corée.

Il y a surtout le personnage de Caleb Landry Jones. D’abord dans l’humour et arrivant progressivement vers la tragédie (le personnage devient assez dangereux), il est comme une bombe prête à exploser. A chacune de ses scènes, on sent la distance qui s’installe entre le duo d’amis (Callum Turner et Caleb Landry Jones) puis l’armée. Plus le film avance, plus la subversion prend d’ampleur. Ce qui donne un peu plus d’importance à cette horloge qui se retrouve volée. Le spectateur comprend vite qui l’a dérobée, et c’est là tout l’intérêt. Le film embrasse le point de vue d’un mal-être au sein de cette caserne. Avec l’humour, évidemment, mais ce vol symbolise parfaitement le désir de rupture avec le passé : que ce soit le règne du Roi qui s’achève, la famille qui a ses secrets, les amours qui coincent, etc…

Back to the past
Développons maintenant ce qui entoure le personnage de Callum Turner. John Boorman revient donc dans son passé. Même si la crédibilité de chaque acte serait à vérifier avec lui, on ne peut pas parler de « faits réels ». Il n’empêche qu’une certaine nostalgie s’empare de ce film. Avec la cloche sonnée de nombreuses fois, l’enquête absurde sur l’horloge, le regard voyeur à travers la fenêtre du dortoir féminin, etc… La plupart des éléments dans le film marquent un plaisir de retracer le passé. John Boorman a beaucoup de mal à rester longtemps sur un plan. Soit les plans sont courts, soit le cinéaste use de travellings qui s’accélèrent et de panoramiques rapides. Il y a une volonté d’être partout à la fois, pour ne rien louper des souvenirs qui traversent l’esprit du personnage. Avec ses nombreux mouvements de caméra, John Boorman veut que chaque détail intégrés aux espaces comptent dans le développement de son protagoniste.

Cela doit être compté en parallèle d’une vraie mélancolie. Parce que l’adolescence du jeune protagoniste se fait en majorité dans l’armée. Comme si son initiation fut dérobée, au profit d’un passage à l’âge adulte trop brutal et spontané. A partir de là, il tombe amoureux d’une demoiselle issue d’un milieu social plus haut. Il devient rapidement sergent instructeur. Il se voit confier son meilleur ami pour l’amener en prison. Etc… En gardant absolument la touche so british dans l’humour, John Boorman ne fera pas de la mélancolie une partie de son découpage. Ca sera avant tout dans sa mise en scène et son esthétique. Dans la mise en scène, les jeunes acteurs sont plusieurs confrontés à une attitude tout en retenue. C’est ici que John Boorman tient la force de son film. On a vu que leurs attitudes servent une absurdité (où les personnages sont où ils ne devraient pas être) : mais tout a l’air plus grand qu’eux. Et cette mélancolie se retrouvent aussi dans les espaces, sous forme de répétitions. Les personnages font des allers-retours incessants dans les mêmes espaces. Comme un enfermement dans cette nouvelle vie soudaine.

Même quand il s’agit de revenir voir sa famille, ou d’aller passer 48 heures avec Tamsen Egerton, le personnage de Callum Turner a l’air d’être piégé. Quand il est avec la demoiselle qu’il aime, il a toujours ce dernier geste qui manque. Celui qui lui permettrait d’aller de l’avant, et d’obtenir ce qu’il désire. Ses permissions sont un renvoi constant à l’esprit british et à la monarchie qu’il s’amuse à ironiser. Ces permissions deviennent rapidement des chroniques d’une famille qui ressemblent au soldat tué dans la première scène : plein d’illusion et de secrets. A voir comment même le titre du film est ironique. Le terme « Queen » serait la mise en avant de la jeune Reine Elizabeth II ou la mise en avant de l’élue de son coeur. Le terme « Country » serait la mise en avant de la défense de son pays (militarisation au sein de la caserne) ou la mise en avant d’un habitat familial où l’on a laissé l’adolescence derrière soi.

Rose Army
De l’autre côté, le personnage de Callum Turner est aussi enfermé dans cette caserne. Même bien davatange, par rapport à sa famille. A l’image du gardien filmé au milieu du plan, se tenant droit devant le grillage. Tels ces murs marrons foncés qui forment les salles dans lesquelles exercent Callum Turner et Caleb Landry Jones. A l’instar des plans serrés, ou des plans de dos lors des déplacements dans cette caserne. Ce film est un rappel constant de l’anti-militarisation que porte John Boorman. Même si ce n’est pas vraiment le cas, le film fonctionne à plusieurs reprises comme une errance dans cette caserne, dans ces valeurs de l’armée.

Pour contrer cette mélancolie quant à l’enfermement dans cette caserne, John Boorman utilise tout son humour so british pour tourner l’armée en dérision. A nouveau, on note des panoramiques rapides, des travellings qui s’accélèrent. Mais également des angles de vue assez étranges, pour décrire toute l’absurdité d’une situation. Il y a quelque chose de rocambolesque dans le rythme de ce film. En cherchant sans cesse une contre-solution, voire un détour face à un obstacle, le film montre ses personnages comme les Wrong Mans que décrivent Mathew Baynton et James Corden dans leur série éponyme. Le film est tout le temps dans le déni d’un apprentissage au sein de l’armée, au sein de la société contemporaine. Et ça fait du bien de voir des personnages qui se dictent eux-même leur conduite, face à un environnement qui leur dicte l’inverse, tout en étant conditionné à une ambiance esthétique assez romanesque.

4.5 / 5
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