Paris of the North

Réalisé par Hafsteinn Gunnar Sigurdsson. Écrit par Huldar Breidfjord. Avec Bjorn Thors, Helgi Bjornsson, Nanna Kristin Magnusdottir, Sigurour Skulason, Jon Pall Eyjolfsson, Haki Lorenzen. Islande. 100 minutes. Sortie française le 25 Mars 2015.

Paris, la ville des idylles, la ville du sublime et la ville du décor aux multiples tentations. Ces idylles, ces tentations et ce sublime sont repris pour les apporter en Islande. Mais pas dans une grande ville comme Paris. C’est là tout le paradoxe effectué par le film. Le cinéaste islandais filme un récit universel (axé sur des liens familiaux, des amitiés et des amours) dans un espace global particulier. C’est ce contexte territorial qui apportera tout l’intérêt du film. Tout en filmant un hommage à ce village de pêcheurs, Hafsteinn Gunnar Sigurdsson explore les sentiers battus d’une vie pas si tranquille qu’elle ne le parait.

Minuscules
Le but du film est clair : capter le fonctionnement d’un microcosme. Mais celui présenté est délabré, rempli de contradictions. A partir des doutes intérieurs et de certaines retenues physiques, le village erre dans de multiples complications humaines. Alors que l’eau coule tranquillement à côté, le protagoniste Hugi court, certainement pour fuir ses pensées. Sauf que cette course s’arrête dès la première scène, car le reste est déroulé tel un étau qui s’éprend de l’humain. L’étau croque lentement chaque personnage, les torture émotionnellement et permet au cinéaste de servir ses ruines sociales. En effet, le film a trouvé son noyau dans le délabrement du microcosme social. Parce qu’un petit village implique l’étroitesse des relations.

Dans l’un des premiers plans, on y voit toute l’intention burlesque apportée à ce microcosme. Bien connu dans le Cinéma Islandais, l’humour fait sa part dans l’approche adoptée. Du grotesque simple en allant vers l’insensé, le burlesque du Cinéma Islandais prouve qu’il apporte un regard tendre mais néanmoins désabusé. A l’instar d’un tracteur qui roule à côté du protagoniste qui court, tout en travelling. Ou alors un père qui utilise un élastique pour réussir à durer dans ses relations sexuelles. Voire également une réunion d’alcooliques anonymes à trois, où tout le monde se connait déjà. Je vais en rester là pour les exemples, afin d’éviter de vous gâcher le plaisir. Ce burlesque (aussi présent dans le ton des musiques : magnifique bande originale !) invite le spectateur à faire irruption dans l’intimité des spectateurs.

Ce que la tragédie noire du film ne permet pas. Car le film a aussi un côté noir dans sa mise en scène. Tout de même rassurant, le cinéaste islandais ne mélange jamais le burlesque avec la noirceur. Il alternera habilement les deux, afin d’éviter de confondre la tendresse et le drame. Là où le burlesque justifie un amour pour les personnages, la tragédie noire viendra explorer cette invasion humaine dans la vie de chacun. Malgré l’étroitesse perçue dans ce village perdu, chaque relation est aux portes de l’implosion. Il y a une sensation constante que le social relève d’une complication plus grande que le soi. Le cinéaste islandais jouera de cette confrontation entre le soi et le social. La tragédie noire lui permet de porter une retenue constante dans les attitudes personnages. De ce fait, le burlesque relève de moments spontanés, d’instants qui s’échappent. Et c’est ça qui est beau.

La montagne sacrée
Dans les premiers plans et dans les derniers plans (surtout), on constate la présence d’une montagne au bord de ce village perdu. Elle ré-apparait à quelques reprises, à durée très courte, durant le film. Le plus important, c’est l’image que cette énorme montagne donne sur le récit. C’est évidemment une métaphore, où le village est cerné par ces massifs. Mais quoi de plus beau qu’une métaphore dans le paysage ? C’est un cinéaste qui a compris que les espaces sont tout aussi importants à filmer que le récit. Il y a tout de même le basculement (ou bouleversement) de l’intimité des personnages. Cette montagne s’impose comme le font la plupart des personnages, dans une vie sociale qui devient de plus en plus étroite. Invasion de l’espace personnel par les proches et aucune issue n’est possible.

Ceci est également marqué par une mise en scène où les acteurs se tournent constamment autour, en restant proches les uns des autres. Les plans rapprochés, à plusieurs visages ou en champ/contre-champ, sont utilisés pour appliquer l’idée d’étouffement des personnages. Même si plusieurs plans moyens feront aussi leur part dans cette idée. Mais tous ces plans ne suffisent pas à étouffer les personnages afin d’augmenter la tragédie noire. Le découpage et le montage souffrent d’un point de vue complètement désincarné. On sent le cinéaste plus proche de l’universalité que de la chronique. De ce fait, la caméra n’est que trop souvent un témoin de la tragédie noire et du burlesque.

Ensuite, la montagne est très géométrique dans sa construction. Ses lignes verticales qui montent sur toute sa longueur, ses pics à intervalles géographiques réguliers, ses amas de neiges identiques à chaque pic, etc… L’idée est reprise dans la plupart des plans par Hafsteinn Gunnar Sigurdsson, où l’architecture de ses espaces sont dans la géométrie parfaite. Des plans moyens qui déterminent une symétrie des corps dans la propriété du protagoniste, des plans d’ensemble sur un village aux rues rectilignes et perpendiculaires, mais aussi des intérieurs et extérieurs d’une modernité troublante. C’est le terme parfait pour exprimer l’effet de la géométrie. Un trouble entre le sérieux de la tragédie et le non-sens du burlesque. Comme si tout est bien rangé, seulement derrière les apparences.

La montagne est également une marque de distance constante. Elle sépare le paysage urbain (Paris, par exemple) à un paysage de village perdu en Islande. En courant, en s’isolant, en s’exprimant trop peu et en étant dans la retenue et le mystère : le protagoniste incarne toute la distance tant désirée. La nature sublime est envahie d’une architecture géométrique, malgré la prise de distance. Et ce protagoniste sera l’image vivante de la montagne. Là où la montagne est une frontière géographique entre le village / la nature et la ville, le protagoniste représente les distances qui s’installent dans les relations humaines. Alors que tout devrait être proche.

3.5 / 5
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