National Gallery

Réalisé par Frederick Wiseman. Documentaire. 175 minutes. États-Unis. Sortie française le 8 Octobre 2014.

En Février, les salles obscures voyaient sortir AT BERKELEY de Fred Wiseman. Le cinéaste avait passé un an dans l’université pour y filmer les coulisses de l’institution : des enseignants aux élèves, des réunions d’administration aux cours, etc… Ici, Fred Wiseman filme à nouveau les coulisses d’une institution. Étant sa marque de fabrique, il s’interroge sur la manière dont est constitué un organisme célèbre. N’ayant pas pu filmer la plus grande galerie d’art de New York, il est parti jusqu’à Londres à la National Gallery. Là-bas, il a pris tout son temps pour filmer tout ce qui compose la galerie d’art.

Quoi qu’il filme, Fred Wiseman est dans le rapport de l’Homme à l’Art. Tout d’abord, le cinéaste pose sa caméra là où le public se positionne devant une oeuvre. Le cinéaste filme des spectateurs qui se projettent dans l’oeuvre d’art qu’ils regardent. Une certaine fusion se forme entre les deux parties. Par la fixité de ses plans, Fred Wiseman isole le spectateur et l’oeuvre qu’il regarde. Cet isolement est propice à la perdition du spectateur. Ce-dernier utilise la vie infinie d’une oeuvre pour se confondre avec un instant de vie d’un spectateur. Puis, en filmant des oeuvres seules dans un plan, Fred Wiseman permet au spectateur de cinéma de se confondre avec ceux du musée. Une immersion complète, où les oeuvres d’art nous regarde droit dans les yeux.

A côté de cela, Fred Wiseman n’oublie pas les coulisses du musée. Au-delà des salles d’exposition, il y a les salles où la recherche, la restauration, l’archivage, etc… font également parties de la vie des oeuvres d’art. A partir de sa création, une oeuvre connait plusieurs vies. Parce qu’au bout d’un moment, elles se détériorent. Il y a alors nécessité d’y apporter un travail minutieux, rigoureux et surtout de longue durée. C’est cette durée qui est l’argument de toute la fusion de l’Homme avec l’Art. Parce qu’avec la durée, même dans la restauration, l’Homme va au plus près de l’oeuvre. Une connexion naît entre l’oeuvre et l’Homme lorsque celui-ci se met à travailler dessus. Même dans le cas de la construction d’un cadre, il s’agit d’imaginer l’oeuvre dans ce cadre : ce qui pousse l’Homme à connaitre l’oeuvre par coeur.

Tout cela se déroule à l’intérieur du musée, donc qu’apporte Fred Wiseman avec sa caméra ? Rien de très compliqué, mais de tout à fait passionnant. Quand on dit que le Cinéma peut se voir comme la somme de plusieurs arts, il peut les atteindre de la même manière. Avec sa caméra, Fred Wiseman réunit les arts pour les faire dialoguer entre eux. Que ce soit la danse, la peinture, la sculpture, le cinéma, etc… Grâce à sa caméra, Fred Wiseman nous offre un nouveau regard sur le monde magique de l’Art. La caméra saisit comment un art peut retentir dans un autre, tout en gardant sa propre spécificité. Et ce mélange qui fait que l’Homme peut se perdre et se projeter dans une oeuvre, quelque soit son domaine artistique d’origine.

Pour filmer ceci, Fred Wiseman dirige le regard du spectateur vers les détails les plus importants. Il faut constater que la perdition et la projection dans une oeuvre est le fruit de l’attente. Guetter pendant une durée indéterminée ce qui pourrait nous surprendre, nous étonner, nous bouleverser. La seule façon d’obtenir cela, c’est la contemplation. Fred Wiseman filme la beauté de l’Art, et la beauté de ses relations avec l’Homme. Ainsi, une abstraction contemplative s’installe dans l’enchainement de ses plans. Il n’y a pas à chercher de cohérence (presque) narrative comme dans AT BERKELEY, mais il y a l’idée de se laisser transporter irrationnellement dans l’Art. Quelque soit l’approche adoptée avec les oeuvres (public, restauration, recherche, …).

La force du film de Fred Wiseman, au-delà de la fusion de l’Art avec l’Homme, est de ne pas se contenter de la contemplation. Parce qu’à force de regarder, on pourrait se perdre dans la beauté et ne plus savoir ce que l’on attend. Pour remédier à cela, le cinéaste prend le parti de la délicatesse dans son geste de cinéma. Il n’y a jamais d’intention de radicalité, les oeuvres sont présentées dans une vérité absolue. Et quand les oeuvres arrivent dans les plans, il y a comme une glace qui se brise. Il n’y a pas cette plaque de verre ni un vigile pour nous empêcher de se rapprocher des oeuvres. La caméra nous accentue l’immersion évoquée auparavant.

Toutes ces approches et ces détails pour un seul ton : le mystère. Quand l’Homme se pose devant une oeuvre dans les salles, quand le restaurateur scrute chaque centimètre d’une oeuvre qui se dégrade, quand la caméra nous présente des arts qui interagissent, etc… : il s’agit de réfléchir et comprendre ce qui se cache derrière chaque oeuvre. Car l’Art est peut-être un moyen pour l’Homme de s’échapper, de réfléchir ou de se cultiver (ou tous à la fois), mais il ne faut pas oublier qu’il y a des artistes derrières. Et la caméra sait nous présenter les énigmes de la création d’une oeuvre, et comment chacune d’entre elles peuvent raisonner par leur singularité.

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