Les mille et une nuits, Vol. 1 : L’inquiet

Réalisé par Miguel Gomes. Écrit par Miguel Gomes, Telmo Churro, Mariana Ricardo. Avec Carloto Cotta, Rogerio Samora, Joana de Verona, Adriano Luz, Gonçalo Waddington, Diogo Doria, Teresa Madruga. Portugal. 125 minutes. Sortie française le 24 Juin 2015.

La nouvelle oeuvre du portugais Miguel Gomes, en trois volumes (films), se présente comme un contrepoint à son précédent TABOU. Où le Noir & Blanc servait une expérience sensorielle et sentimentale. Les images agissaient tels des souvenirs, des instants passés et évanouis dans le temps. Dans ces MILLE ET UNE NUITS, les images sont le regard respectueux et embellissant sur les personnages. Tous les éléments sont utilisés à l’opposé de TABOU. Il y a le passé qui est désormais un récit du présent. Et la parole est maitenant portée sur la description et exclue toute émotion (au profit de l’image).

Le prologue des MILLE ET UNE NUITS en fait l’expérience. Miguel Gomes se met en scène lui-même, pour décrire un état d’esprit. Dans une forme très documentaire, ne cachant jamais le dispositif, cette première séquence initie le spectateur à la mélancolie du cinéaste. Ce sentiment va subsister tout au long du film. Une sorte de fatalité, d’impuissance et de désespoir vont régner dans (presque) tous les plans. Même si les images sont d’un grand respect, et d’une certaine façon généreuses envers les personnages, le regard est désabusé.

En effet, le propos du film se focalise sur le socio-politique. A travers toutes ses séquences différentes, ses « contes », le film propose un regard multiple sur la société portugaise. Pointant du doigt le système, il est certain que l’oeuvre de Miguel Gomes a un côté militant. Ce qu’il n’a pas réussi à faire, dans sa forme la plus basique, dans le prologue. Avec tous ces personnages, toutes ces histoires différentes, le long-métrage démontre un chaos qui s’installe au sein de la société. Surtout, le gouffre touche tous les personnages. Aussi bien les hommes en costards que des fermiers ou un artiste qui fuit.

Dans sa narration, cela permet de trouver plusieurs approches. Car toutes ces histoires, dans leur agencement, constituent une sorte de fresque immense. Celle où le cinéaste devient le peintre d’une période : ces moments où la société portugaise s’enlise dans les difficultés. Avec ses nombreux cartons, pour séparer les « contes », Miguel Gomes entrepend une radicalité dans la narration. Ainsi, son oeuvre se démarque tout de suite de TABOU, par exemple. Là où il y avait deux parties distinctes, mais connectées, LES MILLE ET UNE NUITS est un catalogue assumé. Qui emprunte plusieurs chemins, pour décrire au mieux possible cette société.

Grâce à cela, Miguel Gomes peut aborder plusieurs tons. Même s’ils sont plus ou moins différents, avec quelques points communs. L’avantage de la fresque, est d’éviter les répétitions. Car toutes ces histoires sont les morceaux d’un puzzle. Avec ce premier volume, on peut très bien rire comme être attristé. La comédie, la tragédie, la romance, l’aventure, … sont autant de genres empruntés. Miguel Gomes ne se les approprie pas, mais les met au service du chaos de la société portugaise. Le ton le plus évident, est celui de l’absurdité.

Parce qu’elle prend aussi son ampleur dans la mise en scène. Sans tenter de saisir des éléments de burlesque (le film tient à son propos dramatique sur le socio-politique), il y a une dérision qui vole au-dessus de chaque « conte ». Cette absurdité trouve son point d’appui dans les attitudes des acteurs. Ce sont les comportements et les actes des personnages qui font la différence. La scène finale de ce premier volume en est l’image parfaite. Il faut être sacrément nostalgique et optimiste, pour débuter un film avec les mains sur le visage baissé, et terminer avec des bras en l’air et des cris de joie.

Ce qui rend le long-métrage plus intéressant, c’est le lien invisible entre toutes ces histoires. Les séquences s’enchainent sans transition, uniquement un texte titre. Dans sa mise en scène, Miguel Gomes montre qu’il recherche un naturel, un réalisme de chaque instant. Comme avec TABOU, il s’agit de capter des moments intimes (d’un certain point de vue). Ceux de voir les personnages errer dans leur quotidien, dans leurs objectifs. La lutte est suggestive, car les attitudes sont ce qui définissent les personnages. Voilà un cinéaste qui développe ses personnages par la mise en scène de leur caractère, une sorte de projection de l’esprit, qui veut éviter de se concentrer sur les simples actes.

Ce traitement permet au film de développer toute une poésie, bien linéaire (comprendre : sans jamais déborder ou s’engouffrer dans le trop plein) et au service de l’absurdité. Parce que la dérision du regard porté, implique un respect constant envers les personnages. De là, naît l’esthétique poétique du long-métrage. Avec sa caméra, Miguel Gomes cadre un environnement magique. Le peu d’optimisme qui lui reste, malgré la perte d’espoir et la désillusion, permet de faire ressortir les couleurs dans lesquelles évolue ce chaos. L’esthétique du film représente la future perte, causée par ces difficultés socio-politiques.

Ce que filme Miguel Gomes, ce ne sont pas ces multiples histoires. Ni même des individualités. Grâce à son puzzle social éclaté, le long-métrage désire englober l’ambiance et l’énergie qui reste. La communauté brille par ses couleurs, et la lumière vient toujours (dans le cadre) apporter de l’imaginaire. Quelques fois, il est même possible d’apercevoir des soupçons de fable baroque. Mais le cinéaste n’a aucun intérêt à pousser l’idée. Car le premier volume ne veut pas tricher avec sa recherche de réalisme, et surtout pas s’en écarter. Il est alors évident, et rigoureux, de rechercher le merveilleux de la communauté dans les couleurs du réel.

C’est notamment dans cette approche que le montage a pour but de rendre les personnages plus radieux. Quoi de plus beau que la queue d’une sirène qui s’agite pendant quelques secondes, alors que rien ne se meut autour ? Tout aussi tragique quand un plan fixe sur un magnifique, déborde de couleurs autour de lui. Puis, le cadre les supprime par un travelling avant. La liste est très longue, mais en conclut un amour unique pour ces personnages. Le découpage, et ainsi le montage, c’est cette volonté : trouver les sourires et la bienveillance de chacun, pour en tirer une énergie poétique qui élève la communauté au sein de son chaos social.

Et pour redonner de l’estime et une valeur à cette société, le film part sur l’expérimentation de la parole. Beaucoup de voix-off, de voice over et de changements de fréquences. Grâce à cela, Miguel Gomes enlève toute focalisation sur le texte, sur le fond du propos. La forme l’emporte, et la poésie vient écraser la parole. Enfin, la plupart du temps. Parce que le récit au présent donne une occasion au réalisme de s’exprimer. Le chaos se révèle par la description textuelle, comme une théâtralité du verbe. Le texte n’a aucun autre but, uniquement présent pour apporter une consistante à l’image. Parce qu’il faut expliquer la crise, parce qu’il faut justifier l’absurdité et parce que la poésie contemplative énerve beaucoup de gens.

5 / 5
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