Les bruits de Recife

Écrit et réalisé par Kleber Mendonca Filho.
Avec Irandhir Santos, Gustavo Jahn, Maeve Jinkings, WJ Solha, Irma Brown, Yuri Holanda, Lula Terra, Albert Tenorio, Nivaldo Nascimento, Mauriceia Conceicao.
Brésil.
126 minutes.
Sortie le 26 Février 2014.

La vie dans un quartier de classe moyenne de la zone sud de Recife. Une vie perturbée par l’arrivée d’une société de sécurité privée. La présence de ces hommes est source de tranquillité pour certains et de tension pour d’autres. Dans une communauté qui semble avoir beaucoup à craindre.

Le film contient un prologue. Avec des images fixes (surement des photographies au vu de quelques grains) en noir & blanc. Ceci ancre le film dans une réalité historique forte. Le film se concentre sur un quartier unique. Alors, la quantité de ces images en montre le vaste contenu historique. Ceci montre déjà à quel point ce film est personnel. Dans une interview, le cinéaste brésilien confirme que le quartier brésilien est celui où il vit. Il filmera notamment les rapports passé/présent dans ce quartier. Où le spectateur peut constater que ce quartier est encore très influencé par son passé.

L’une des surprises du film, c’est le paradoxe créé entre l’ambiance et l’esthétique. L’intrigue se déroule dans une ville moderne, urbaine qui change très vite. Mais l’ambiance qui règne est très féodale. Malgré l’avancement économique (les gratte-ciels qui se construisent), les personnages sont encore très enfermés dans une bulle culturelle. Comme s’ils sont toujours prisonniers de leur Histoire. Les domestiques existent toujours, avec leurs petites chambres sans fenêtre et leurs vêtements communs. On continue de jouer dans des ruelles ou des petites cours. Il y a de nombreux exemples.

A côté de cela, l’esthétique joue sur plusieurs tableaux. Le film s’établit très rapidement comme une chronique de voisinnage. Pour cela, le réalisateur brésilien emprunte l’esthétique à plusieurs genres de cinéma. Nous avons d’abord le droit au thriller. Qui se porte légèrement davantage vers le thriller psychologique. Ceci vient du côté de l’intrigue sur la sécurité. Avec ces « chiens de garde », avec cette peur constante du grand patron, avec cette peur de l’électrocution, etc… Il y a toujours une crainte qui s’installe dans l’esprit des personnages. Pour cela, le cinéaste va aimer cadrer l’élément perturbateur, avant d’en venir au gros plan sur les personnages. Il crée une certaine tension dans son mensonge, que même tout le film pourrait se résumer à un thriller.

Bien que certains passages feraient plus l’usage de la comédie dramatique. L’intrigue du chien qui vient quotidiennement aboyer sous la fenêtre, est un bon exemple. La mère de famille essaie de trouver tous les subterfuges pour arriver à enrayer le mal (être) face à ce chien. Et ce n’est pas tout, car juste cette mini intrigue ne fait pas un film. Pour appuyer davantage la chronique sur cette mère de famille, le réalisateur va plus loin dans la comédie. Avec le lave linge, ou encore avec l’enseignante de langue chinoise, etc… Tout est prétexte à amener de la bonne humeur dans cette chronique légère.

Je parle de légèreté car le cinéaste brésilien va aussi du côté de la romance. Même si les histoires d’amour ne sont pas énormément développer, c’est pour mieux les contempler. La lenteur du propos dans ces romances accentue la sensualité de leur déroulement. Ici, ce sont encore les esprits et le coeur des personnages qui parlent. Le corps n’est que très peu mis à l’épreuve, ou même décortiqué. Au final, on a l’impression de voir un western. Avec toutes ces intrigues (pouvoir, espace fermé, luttes de territoire, …), on dirait un soap opera filmé par John Carpenter.

Tout est sujet à l’angoisse. Le cinémascope du réalisateur s’adapte bien à sa réalisation. Cette manière de cadrer les immeubles : comme un puzzle horizontal alors que tout (immeubles comme personnages) évoluent à la verticale. C’est une peur de l’extérieur, une peur du bouleversement. Du coup, le film a ses aspects d’ombre qui apparaissent assez souvent, ces visages marqués d’inquiétudes ainsi que ces pas en douceurs. Le film gagne alors à être implicite. Car on ne sait jamais si on doit se placer dans le thriller ou dans l’onirisme féodal. En fin de compte, le film joue sur les deux plans.

Car le son est aussi là pour nous induire en erreur. Encore mieux, le travail sur le son est binaire. Je vous rassure, c’est un compliment pour le film. Quand la femme avance avec sa voiture, et écrase le ballon d’un enfant sur le trottoir : elle ne l’entend pas, et nous non plus. Car elle est enfermée dans sa voiture sécurisée. Quand il s’agit de gros plans ou du chien, le son est monté à haute fréquence. Tous ces détails sonores vont se perdre dans les achats DVD et Bluray. Tout ce boulot sur le son, on le sent très bien, fut un très long travail. On comprend que le réalisateur brésilien a passé beaucoup de temps à prendre du son d’ambiance, pour créer une identité au quartier. Et ainsi venir renforcer l’esprit dans lequel vivent les habitants du quartier.

C’est tout l’avantage du son dans un film. Comme ici, il permet de créer une bulle dans laquelle s’enferme les personnages. Ainsi, une identité et une ambiance sont créées. Mais le cinéaste brésilien fera beaucoup plus. Avec ses trois intrigues parallèles (toutes reliées par l’espace, l’insécurité, la paranoïa et l’esthétique), il crée plusieurs autres bulles. Celles où les personnages vivent. Et cela permet au spectateur de venir au plus près des personnages. De toute évidence l’un des meilleurs films de cette année 2014.

5 / 5