Le Ciel Flamand

Ceux qui se souviennent de OFFLINE en 2012 lèvent la main, ainsi que ceux qui l’ont vu. Les autres, ce n’est pas grave, vous avez toute une vie pour vous rattraper. Cependant, pour ceux qui auront vu les deux, il est possible que vous voyez des thèmes communs. En effet, Peter Monsaert traite à nouveau la famille au sein d’un conte social rempli d’humanisme. Le cinéaste montre une nouvelle fois, que dans un sujet pas simple à écrire et filmer, qu’il arrive à faire preuve de la bienveillance nécessaire pour atteindre la force dont ont besoin les personnages. Parce qu’ils luttent contre une épreuve, ils sont face à la fatalité de leurs émotions et leurs sentiments individuels.

A travers cela, Peter Monsaert crée (sans le vouloir, comme il l’a affirmé) un miroir entre OFFLINE et LE CIEL FLAMAND. Les protagonistes sont une nouvelle fois de la même famille, mais il y a également une rupture au sein de celle-ci. Il s’agit aussi ici d’une famille qui le poids du passé sur les épaules et qui se déchire à chaque réunion quelconque. Les objectifs sont alors clairs : un événement aussi compliqué que celui subit par la jeune fille, peut-il souder à nouveau une famille séparée pour aborder au mieux les moments difficiles à venir ? L’avantage de Peter Monsaert est d’écrire des situations différentes, dans des lieux multiples, afin de disperser le spectateur, mais sans jamais vouloir apporter de solution. Parce que ce drame intime est inscrit dans la cruauté du monde, alors un contexte noir qui regarde le corps comme une marchandise (comme avec Anemone Valcke dans OFFLINE, ici la coach de la toute jeune actrice). Ne pas apporter de réponse, pour au mieux explorer les sensations dans leur profondeur, juste explorer là où il y a la cassure.

Toutefois, la grande force du long-métrage est d’aborder des idées opposées à OFFLINE. En effet, LE CIEL FLAMAND va plus loin, prend un chemin plus sinueux et long dans sa cruauté et son exploration. Déjà dans la mise en scène, quand Peter Monsaert était très chaleureux et émotif dans OFFLINE. Ici, les comportements sont plus froids et enfermés dans une coquille. Le film en devient presque un thriller à part entière, où les espaces sont les premiers éléments troublant les rapports entre personnages, puis troublant le ton. Sans jamais être une quête familiale intime, LE CIEL FLAMAND s’aventure plutôt dans la poursuite d’une rédemption personnelle. La froideur justifie la recherche de la chaleur. La toute jeune actrice Esra Vandenbussche mériterait absolument un prix. Et si elle ne l’a pas, elle aura surement déjà l’admiration du public.

Toujours dans l’opposition face à OFFLINE, il s’agit d’amplifier l’esthétique vers quelque chose de plus pesant, de plus accablant. Peter Monsaert s’autorise déjà une plus grande cruauté, jusqu’à même autoriser un meurtre. Plus largement, le film fait confiance au pouvoir suggestif des non-dits, ainsi qu’à la puissance du hors-champ. La scène finale avec Wim Willaert résume très bien cet aspect. Il y a quelque chose de très sombre qui vole au-dessus de cette famille avec rupture ; le ciel flamand du titre est un tout un symbole merveilleux face à l’esthétique cruelle. Il s’agit d’une sorte d’écrasement, comme si les personnages sont constamment confrontés à une grande gifle, tel un appel mortifère qui décompose les corps et crée la sauvagerie.

Cela se remarque notamment dans la comparaison des espaces avec OFFLINE. Dans son premier long-métrage, Peter Monsaert faisait contenir une lourdeur dans un seul village, comme si les personnages étaient coincés dans un labyrinthe de souffrance intime. Désormais, dans LE CIEL FLAMAND, l’esthétique crée l’ouverture des espaces, le paysage se libère. Néanmoins, il est toujours aussi sombre et cruel. L’errance est alors plus volatile, provoquant un effet aérien dans la relation des protagonistes. Chaque porte ouverte, chaque nouvel intérieur et chaque nouvelle route ne sont que des chemins vers l’infini impitoyable, vers le décrochage social, tels des nouveaux nœuds sur une corde bien longue où chaque bout est épuisé. Il faut notamment y noter la nouvelle collaboration entre Peter Monsaert et l’incroyable acteur Wim Willaert. Déjà dans OFFLINE, ce-dernier franchi une nouvelle étape dans son jeu : surement son plus beau rôle jusque là, dans lequel il passe d’un jeu tout en nuance dans OFFLINE à une interprétation pleine de mystères et de retenue – une sorte d’ogre tendre.

LE CIEL FLAMAND de Peter Monsaert.
Avec Esra Vandenbussche, Sara Vertongen, Wim Willaert, Ingrid de Vos, Isabelle Van Hecke, Tom Ternest, Naima Rodric, Serge Larivière.
Belgique / 2016 / 114 minutes.

Festival International du Film d’Amiens 2016 / Compétition Officielle Long-métrages

4.5 / 5