La vie privée d’Henry VIII

Avant l’arrivée d’Alexander Korda en 1932 sur le sol britannique, le cinéma national se résumait surtout aux forains et à une certaine crise générale – ce que Philippe Pilard nomme « désaffection du public, crise financière, crise de confiance, crise artistique » dans son fabuleux ouvrage Histoire du Cinéma Britannique. Reconnu pour son célèbre MARIUS en 1931 (écrit par Marcel Pagnol adaptant sa propre pièce), Alexander Korda a prouvé être un cinéaste caméléon, virtuose quant aux désirs des spectateurs. MARIUS était déjà un emblème d’une culture française, profondément encré dans ce qui faisait la fierté des français. Alexander Korda est l’un des premiers cinéastes à avoir compris qu’il faut toucher le spectateur dans le cœur, dans ce qui définit son être. D.W. Griffith l’avait lui aussi compris avec BIRTH OF A NATION en 1915, à propos des États-Unis. THE PRIVATE LIFE OF HENRY VIII est donc également une super-production. L’objectif est clair : dépenser un maximum pour mettre en scène l’Histoire, afin d’en gagner davantage pour faire perdurer le Cinéma.

C’est ce côté populo-patriotique qui plaît tant dans le long-métrage, une sorte de divertissement qui a tout de même l’élan d’un auteur qui remet en lumière une période du passé national. Chaque événement est présenté de la manière la plus épurée, la plus modeste. Pas de surplus, mais jamais en surface. On pourrait qualifier l’intention comme « aller à l’essentiel ». Nous verrons ensuite en quoi ce film fait appel à l’esprit populaire. D’abord, il faut comprendre qu’Alexander Korda a la volonté de relancer le cinéma britannique avec ce film. Pour cela, il prend une personnalité complexe pour en faire un personnage humain. Toutefois, la narration et le tempo font constamment appel à l’amour de la nation : les événements narratifs sont justifiés par le mariage du comportement humain avec le soucis de l’image nationale. Alexander Korda ne tente jamais de justifier les actions du Roi ou de le défendre ; au contraire, il adopte une approche neutre pour réussir le dilemme entre l’image individuelle et l’image collective (nationale).

Ce mélange existe parce que le cinéaste d’origine hongroise a su déterminer une temporalité précise pour sa narration. Il n’a aucunement l’intention de marquer le temps par plusieurs cartons, par de longs fondus au noir, etc. Il préfère créer une intrigue intemporelle, où tout s’enchaîne de manière fluide et cohérente. Il est facile de penser que cette histoire se déroule en quelques mois ou années, alors qu’elle dure en réalité plus d’une dizaine d’années. Cette intemporalité est possible avec l’omnipotence de la mise en scène. Avec sa caméra, le cinéaste montre qu’il est partout, tout le temps, tel son protagoniste Henry VIII. Le principe est simple : montrer comment le Roi s’impose dans chaque espace et dans chaque temps. Même quand il n’est pas dans le champ, les personnages parlent de lui. L’intemporalité est possible grâce à cette omnipotence : que ce soit ce qui est visible dans le champ ou ce qui est dans le hors-champ, tout est connecté au protagoniste ; Charles Laughton est comme un aimant, attirant tous les états d’âmes, les attitudes, les sentiments, les malheurs, etc. En quelque sorte, le protagoniste représente à lui seul (de manière métaphorique) la nation britannique.

Bien plus qu’un simple biopic, le long-métrage compose modestement son omnipotence avec des espaces du renouveau. La mise en scène désigne le désir que chaque changement narratif soit une renaissance des espaces, une manière de redorer une image. On se croirait presque dans une tragédie grecque traditionnelle, où le mélodrame et les émotions sont si purs que les espaces reflètent à la fois une austérité et un fantasme. Mais il y a aussi une tendance shakespearienne dans ce film, où le ton emprunte fortement à l’essence de l’être, à la farce, à la piété, au symbolisme et l’allégorie (le protagoniste est déjà tout ceci à lui seul). Mais ce n’est pas tout, puisque le long-métrage de Alexander Korda intègre également l’humour burlesque : Charles Laughton est tel un ogre dans cette mise en scène mélodramatique. Le film du cinéaste hongrois est une rampe de lancement pour les décennies de Cinéma Britannique à venir. Encore aujourd’hui, ce film résonne dans les productions britanniques, que ce soit dans l’approche, la mise en scène, les thèmes ou ces personnages représentés tels des anti-héros. Alors, Alexander Korda, père du Cinéma Britannique que l’on connaît ?

THE PRIVATE LIFE OF HENRY VIII, de Alexander Korda.
Avec Charles Laughton, Robert Donat, Franklin Dyall, Miles Mander, Lawrence Hanray, John Loder, Merle Oberon, Wendy Barrie, Elsa Lanchester, Binnie Barnes, Lady Tree.
Royaume-Uni, 1933.

5 / 5