Journal d’une femme de chambre

Réalisé par Benoit Jacquot. Écrit par Helene Zimmer, Benoit Jacquot. Avec Lea Seydoux, Vincent Lindon, Clotilde Mollet, Hervé Pierre, Médodie Valemberg, Patrick d’Assumçao, Rosette. France. 100 minutes. Sortie française le 1er Avril 2015.

Après Renoir et Bunuel, Benoit Jacquot rouvre le Journal d’une Femme de Chambre. Après LES ADIEUX A LA REINE, le cinéaste continue dans le film d’époque. Il renoue également avec le dialogue politique en s’appuyant sur l’historique. Là où Lea Seydoux était en paradoxe de son statut social à Versailles, alors que la révolution n’est qu’un fantasme dans ce nouveau film. Ces rôles s’opposent, mais le propos reste dans la thématique de la question socio-politique. JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE n’a pas besoin d’une lecture entre les lignes : il s’agit de prendre parti pour les dominés, face à la pression de ceux qui sont en haut (employeurs, salaire, rancoeurs, servitude, …). Rien de bien nouveau, mais Jacquot propose une autre lecture que Renoir et Bunuel.

Une lecture qui s’avère très fidèle au texte de Mirbeau. Jacquot garde tous les éléments narratifs de l’oeuvre littéraire, mais n’en produit rien. Le film contient beaucoup de répliques, et se transforme rapidement en film bavard. A tel point que le film donne l’impression de garantir le mot pour mot. Le problème avec cette fidélité totale, c’est que chaque scène se transforme en récital. Les acteurs déblatèrent le texte du roman, et n’en tire aucun argument pour leur jeu. Il est très clairement visible que le jeu des acteurs ne provient que de la mise en scène. Aucunement place à l’improvisation, puisque le texte reste sur sa base. Le seul écho entre ce XIXe siècle et notre XXIe siècle provient de la mise en scène.

Justement, cette mise en scène côtoie deux réflexions autour des personnages. Plus particulièrement autour de leur statut. Dans un premier temps, Benoit Jacquot explore la pression sur les dominés, et la tension qui survole les relations entre les classes. Pour cela, dès que des personnages socialement opposés se donnent la réplique, il y a une froideur qui ressort dans l’atmosphère. Les dominants s’imposent dans l’espace ; les dominés sont rangés dans un coin, derrière un objet de décor, mis au second plan, … La mise en scène envers les dominés est comme un étau qui se resserre de plus en plus à chaque nouvelle situation. Une sorte d’étouffement qui écrase automatiquement les dominés dans l’espace. On le remarque également dans les allers-retours constants des dominés. Il y a une répétition dans l’occupation des espaces : cela laisse imaginer à un chat coincé dans une boîte, tournant en rond.

On retrouve cette idée de mise en scène dans LES ADIEUX A LA REINE, tout comme l’idée de la pulsion. Car JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE traite également des désirs des personnages dominés. Les pulsions viennent de plusieurs endroits : que ce soit les désirs sexuels, la volonté d’un regard plus juste de la part des dominants, ainsi que la pensée de liberté. Quand les dominants ne sont pas dans le champ, les espaces paraissent plus grands et les corps plus vivants. Il y a un relâchement évident dans ces situations, où les corps expriment un ton plus sauvage. Il suffit de citer les scènes entre Lea Seydoux et Patrick D’Assumçao (ce dernier prouve qu’il est un excellent acteur, sur qui il faut compter pour le cinéma français) ou même les postures de Vincent Lindon. Seul bémol, les regards sont trop monotones pour que le texte décole au-delà du récital.

Justement, dans ce texte, il y un élément de narration assez étrange. Le choix des flashback est justifié, mais c’est leur placement dans le récit qui laisse un doute. On ne parlera pas de ces fondus au blanc qui piquent aux yeux avec leur indigence esthétique. Mais il faut parler de l’inutilité des flashback, aussi bien dans la narration que formellement. Leurs incrustations donnent la preuve qu’ils peuvent intervenir à tout moment du film. Ce qui implique leur fondement dispensable pour le reste de l’intrigue. Les situations décrites dans les flashbacks ne font jamais avancer le récit, n’apportent rien à la progression du personnage principal. Encore pire, ils exposent le personnage principal par brides tout au long du film, ce qui ne permet pas une empathie pour ce personnage. Au contraire, le parti pris nous guide vers un propos, une généralité (la classe des dominés) et non vers un élément concret (un personnage fictif).

Cela amène à parler de la forme du film, tout aussi surprenante. Il faut mentionner le montage complètement fade. Le film donne l’impression qu’un seul point de vue est possible. A partir de là, le montage n’apporte rien au parti pris. Les passages d’un plan à un autre n’est jamais justifié : au point de souvent couper un travelling en plein mouvement, pour partir sur un plan fixe. Cela rejoint le découpage déjà peu inspiré du film. Avec des plans souvent dégueulasses (des cadrages modifiés inutilement, des basculements d’échelles trop grands, …), le film a une caméra qui n’agit qu’en tant que témoin de la mise en scène. Parce que le film vaut surtout pour sa mise en scène (la moitié du casting fait le minimum convenu), puisque la caméra ne parvient pas à capter l’important d’une situation.

Le seul élément agréable dans les plans, c’est l’esthétique apportée. Il faut se souvenir de LES ADIEUX A LA REINE, où Benoit Jacquot adoptait une poésie libératrice dans une mise en scène de l’urgence. Ici la poésie libératrice se retrouve dans les personnages dominés. A travers les pulsions de la mise en scène, les couleurs deviennent plus éclatantes et la lumière s’invite dans le cadre entier (en entourant comme il se doit les personnages dominés). Cette poésie libératrice se traduit également dans la mise en scène : quand les habits des dominés traversent, tel un voyage fantasmé, dans les espaces aux couleurs éclatantes. D’une autre part, Benoit Jacquot crée le paradoxe avec la classe bourgeoise. Alors que leurs habits sont fabuleux, ces dominants sont reclus dans des espaces à faible lumière et aux couleurs sombres. L’atmosphère fermée de ces espaces provoque une poésie macabre autour des dominants. Comme si la poésie macabre envers les dominants et la poésie libératrice envers les dominés coïncide avec l’opposition intérieur/extérieur durant tout le film.

2.5 / 5