Gosford Park

Robert Altman a reçu un Oscar d’honneur cette année. L’occasion de se plonger dans son film Gosford Park, après en avoir accepté au préalable ce qu’impliquent ces 2h17.
Car Gosford Park est un film sans action. La distribution y est exceptionnelle, l’interprétation grandiose, l’atmosphère à huis-clos de cette Angleterre à la Agatha Christie est superbe.

Evidemment dans cet écrin, ce sont les situations et surtout les dialogues qui sont cousus de fil d’or. Le film est une peinture, représentant les relations entres maîtres et domestiques à l’époque. Très british, certains personnages sont américains pour montrer qu’il y a bien une différence. Et puis pour agrémenter un peu, on nous sort un meurtre. Mais c’est loin d’être l’évènement principal, c’est juste la petite pincée de poivre supplémentaire pour épicer l’ensemble.

Gosford Park n’est pas un film à critiquer directement après l’avoir vu. Il faut laisser mariner, fermenter, y repenser plusieurs fois. C’est alors, le lendemain par exemple, quand le côté dubitatif est retombé, que l’on peut venir ici et l’écrire : Gosford Park est un grand film. Chapeau monsieur Altman, à l’ère du règne de Vin Diesel, il faut oser.

Critique de Teddy

Il y a des airs de DOWNTON ABBEY ? Rien de plus normal, le scénariste n’est autre que le créateur de la célèbre série britannique, Julian Fellowes. Mais il n’est pas la peine de comparer les deux œuvres, car GOSFORD PARK est arrivé avant DOWNTON ABBEY, mais il en sert de rampe de lancement pour le scénariste britannique. Par contre, les influences se font clairement sentir : on ne pourra jamais nier que plane l’ombre de James Ivory au-dessus de GOSFORD PARK (et un peu moins au-dessus de DOWNTON ABBEY). Parce que le film de Robert Altman emprunte beaucoup à THE REMAINS OF THE DAY. Il sera expliqué après pourquoi cette comparaison, tout comme pourquoi le film emprunte également à LA REGLE DU JEU de Jean Renoir, tel un mariage des deux œuvres. Cependant, il ne faut pas oublier le côté thriller du long-métrage de Altman : léger mais puissant clin d’oeil aux grandes œuvres criminelles / policières des romanciers britanniques. On pense quelque peu à Sir Arthur Conan Doyle ou à Agatha Christie, pour l’exploration progressive du changement d’attitudes et la tendance aux espaces déstabilisateurs (une sorte de psycho-folie). Ce n’est pas le fait qui importe, ce sont les comportements autour du crime qui sont passionnants et mis en scène.

En bouleversant les comportements et en troublant les espaces, Robert Altman nous fait voir une époque qui change. Il est question de « voir » dans le sens de la contemplation impuissante, et non de « voir » dans le sens de la participation. Parce qu’il s’agit déjà d’une époque passée, mais surtout que ces bouleversements forment une fatalité. Les britanniques, tel Julian Fellowes, sont les meilleurs pour explorer la fatalité d’une société. Ce fameux crime est moins un climax d’intrigue qu’un simple prétexte pour tourner la page. En intégrant cet arc criminel, le cinéaste et le scénariste proposent une sorte de tremplin : comme si l’avant crime est la fin de l’époque victorienne, puis l’après est le moment des Roaring Twenties. Ce crime peut être vu comme un bond énorme au-dessus de la Première Guerre Mondiale. Et même si l’esthétique ne change pas tellement, l’ambiance autour de la mise en scène est modifiée par la contemplation, percée par la curiosité du faux pas.

Notamment celui qui permet de créer une implosion de la hiérarchie. Ce qu’arrive à mettre en scène Robert Altman, ce n’est pas tant une image d’une époque, mais plutôt un théâtre social. Coup pour coup, les intrigues abstraites de la bourgeoisie, les intrigues concrètes des domestiques, l’absurdité d’un monde puis le divertissement / spectacle d’une sorte de jeu de rôle. Parce que cette hiérarchie est en place pour être maintenue, mais le théâtre social n’est pas une ligne toute blanche et rectiligne : elle est bancale et un peu grise. Cela se traduit notamment par l’approche qu’effectuent Robert Altman et Julian Fellowes sur leurs personnages, où acidité et bienveillance se mêlent. Que ce soit les plans accompagnant soigneusement les attitudes des personnages pour une proximité bienveillante, ou une mise en scène qui accable les regards et refroidi les contacts.

Le domaine est un espace catalyseur : rien que par la suggestion architecturale et l’esthétique (les plans effectués avec la caméra), le film déploie des apparences de mœurs. Plus précisément, les manières sont étouffées dans une fascination pour l’obsolète. Tel un filtre pour tous les secrets contenus dans chaque costume et dans chaque espace du domaine. GOSFORD PARK n’est pas le Cluedo auquel tout le monde fait allusion, mais il serait davantage une ré-interprétation plus indulgente et complaisante des TEN LITTLE NIGERS d’Agatha Christie. Même s’il y a bien plus de dix personnages (voir la liste du casting cinq étoiles mentionnée en bas d’article), cela sert amplement la virtuosité de Robert Altman, génie chorégraphique dans la mise en scène. Une sorte de ballet des costumes au ton fabuleux, dans un espace sous forme de peinture féroce de la hiérarchie.

GOSFORD PARK de Robert Altman. Scénario de Julian Fellowes.
Avec Maggie Smith, Michael Gambon, Kristin Scott Thomas, Camilla Rutherford, Charles Dance, Geraldine Somerville, Tom Hollander, Natasha Wightman, Jeremy Northam, Bob Balaban, James Wilby, Claudie Blakley, Laurence Fox, Trent Ford, Ryan Phillippe, Stephen Fry, Clive Owen, Helen Mirren, Emily Watson, Derek Jacobi, Richard E. Grant, Sophie Thompson, Eileen Atkins.
Grande-Bretagne / USA ; 130 minutes ; 2001

5 / 5
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