En mai, fais ce qu’il te plait

Réalisé par Christian Carion. Écrit par Christian Carion, Laure Irrmann et Andrew Bampfield. Avec August Diehl, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner, Alice Isaaz, Matthew Rhys, Joshio Marlon, Laurent Gerra, Jacques Bonnaffé, Thomas Schmauser. France. 118 minutes. Sortie française le 4 Novembre 2015.

Le genre historique dans le cinéma français n’est pas prêt de renaître des ruines des guerres, le film de Carion en est une nouvelle preuve. Il faut croire que le monsieur n’a pas retenu les leçons de JOYEUX NOEL et de L’AFFAIRE FAREWELL. Le cinéaste français reprend les mêmes ingrédients qui ont enlevé la pertinence de ses films précédents. On se croirait devant un énième long-métrage pédagogique, regroupant des faits les uns après les autres, pour à nouveau dire « une histoire que tout le monde a oublié » (voir l’affiche de JOYEUX NOEL). Ca se veut tellement sincère, que le regard devient de plus en plus infantile et niais.

Un monde de bisounours
De ce fait, Christian Carion est toujours dans le même ton. C’est souvent honorable qu’un cinéaste continue dans la même optique, mais quand ça ne mène à rien, il vaut mieux éviter de se répéter. Ici, le film adopte un ton encore une fois trop léger : le récit et son évolution sont bien trop gentils. Il y a un regard qui attendrit les personnalités des personnages, qui adoucit les situations. Les champs / contre-champ entre certaines images et les personnages porteurs d’espoirs paraissent si faciles. Il faut dire que cette légèreté provient aussi de l’écriture en creux des personnages. Mis à part leurs fonctions, on ne sait rien d’eux. A aucun moment le village ne formera un seul personnage, parce que ses habitants ne montrent jamais leur potentiel caractériel face aux difficultés.

Il faut notamment mentionner cette temporalité qui ne sert jamais la mise en scène. En étirant le périple le plus longtemps possible, le film ralentit tous ses points de vue. La mise en scène est irrémédiablement molle, en voulant prendre son temps. Sauf que la volonté de contemplation ne va pas de pair avec la surcharge de dialogues, ni avec une linéarité des mouvements. A toujours devoir suivre une route toute tracée, il n’y a plus de place pour l’imaginaire, pour le supposé et pour créer des éventualités. L’avenir de chaque scène est déjà dicté, ce qui impose un formatage de la représentation gestuelle des réactions. Il n’y a plus aucune surprise : le long-métrage ne devient qu’une juxtaposition de mouvements évidents sans pouvoir les questionner.

Un cadre sans audace
A tel point que Christian Carion utilise, une nouvelle fois comme avec JOYEUX NOEL, des images chocs. Apparemment le pouvoir de l’imagination et celui de la suggestion n’existe plus avec l’Histoire. Le film propose de regarder radicalement les horreurs commises par les nazis allemands. Ces images chocs arrivent brutalement dans des champ / contre-champ, comme pour élaborer l’émotion selon une empathie forcée envers les personnages principaux. Quand Alice Isaaz découvre seule plusieurs cadavres le long d’une route, Carion la filme pleurer les mains sur le visage. Le jeu forcé de l’actrice fait écho à l’assaut des avions allemands sur les villageois dans le champ : il faut cadrer les cadavres allongés dans un cabanon, d’où l’on sort un enfant rescapé…

Ces images chocs font succession à des moments indécis dans le découpage. Le film ne sait que faire de plusieurs de ses scènes. Le long-métrage veut évidemment éviter la démonstration académique, le témoignage pur et dur. Pour cela, la caméra sera soit posée, soit en mouvement sur des rails, soit à l’épaule, etc. Sauf qu’à choisir plusieurs méthodes pour filmer les situations, le cadre vacille dans tous les sens. Au montage, aucune direction n’est indiquée : il est aisé de se perdre dans l’image et dans les séquences. Surtout quand deux récits évoluent en parallèle, il y a matière à s’embourber dans un florilège d’indécisions concernant le cadrage. Sans développer sur les multiples angles de vue inutiles, le film a un grand problème pour savoir à quelle échelle il faut capter certains moments.

Des espaces creux
Alors que, dans cette « épopée », les paysages devraient être le repère ultime pour prendre une direction. Ici, le cadre ne permet pas d’exploiter tout le potentiel des espaces. Ils ne sont que des éléments de passages, des détails dans une idée de périple. Quand une courte scène dans un petit commerce devient l’une des meilleures du long-métrage, on peut se dire que les champs manque de valeur. Même au niveau de l’esthétique, les couleurs ne sont pas assez variées pour tout l’espoir qui flotte au-dessus des personnages. Alors que chaque espace pourrait devenir le fruit de la passion pour la liberté, ils ne sont que des tas de graviers sur la terre : une simple route avec de l’herbe autour.

C’est là que Christian Carion fait une grave erreur (qu’il avait déjà commise dans JOYEUX NOEL, notamment) : il n’exploite jamais la possibilité énorme du hors-champ. L’ennemi est souvent suggéré, mentionné mais surtout craint. Dans le mariage entre la crainte et la peur, il faut savoir comment inclure l’ennemi dans le champ. Le film montre clairement que son noyau est l’ensemble formé par les villageois : alors pourquoi s’acharner à faire entrer dans le cadre les machines ennemies ? L’inconnu du bout de la route (ce qui les attend devant) ne trouve jamais son contrepoint pourtant si nécessaire : il manque ce qu’il y a derrière, la menace permanente qui peut surgir hors du cadre. Mais voilà, les espaces sont déjà sous-exploités, alors il faut bien faire monter l’adrénaline par tous les moyens possibles.

1.5 / 5
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