De sas en sas

Juste après une projection en festival, lors d’une discussion avec des spectateurs lambdas, il était compliqués de les faire penser à autre chose que cela : « je ne vois pas l’intérêt d’avoir une majorité d’actrices arabes qui ne parlent pas beaucoup le français ». Ce semblant de discussion, qui n’était en fait qu’un cycle sans fin, témoigne d’un courant actuel. Mais quand cela s’étend à ceux qui se prétendent de la critique, ça devient encore plus problématique. Ceux qui sont sensés avoir l’esprit ouvert et qui s’exclament qu’une actrice « typée maghrébine » n’a rien à faire dans un film adapté d’un conte pour enfant (coucou le youtubeur Durendal), me posent vraiment problème. Petite information à destination de ce sous-critique : Golsifteh Farahani n’est pas maghrébine mais iranienne.

Je tenais à faire cette introduction, non pas pour tourner le film dans un débat politico-social qui n’a pas à avoir (puisqu’il n’a pas désir à l’explorer), mais parce que je tiens à faire la propagande élogieuse de ce film merveilleux. Le vrai propos politico-social que contient le film, est dans le miroir créé entre les prisonniers et leurs épouses. Les clichés sont présents, et Rachida Brakni en a conscience puisqu’elle en joue. Comme l’a dit Fabienne Babe, le long-métrage s’inspire d’expériences, de faits réels, récités librement dans un tout. Même si le début est assez pénible, dans cette entrée à la lumière blanche, transportant les personnages visiteurs dans une sorte de monde fantastique, marginal à l’extérieur. Sauf que cette prison, cette succession des sas indiquée dans le titre, n’est qu’un montage progressif de désillusions. Le montage du film laisse pourtant planer le doute, avec cette absence permanente des prisonniers : un hors-champ qui, comme avec le travelling final dans les parloirs, justifie d’un imaginaire où les familles retrouvent leur bien-aimé prisonnier.

Il faut savoir passer au-delà des apparences, des langues, etc. Parce que le plus marquant dans ce film, c’est la condition dans laquelle sont placées ces femmes, ces visiteurs. Le seul visiteur masculin interagit très peu avec le reste du cast, parce qu’il a une fonction bien précise : il est le calme incarné, il est l’antagoniste effacé, il est le n-ième spectateur, il est le nemesis des gardiens, etc… Tout comme ce joueur de flûte que plusieurs critiques fustigent : son apport est simple et même essentiel, parce qu’il représente l’innocence du jeune personnage féminin (la seule petite fille du récit) qui se crée ainsi un imaginaire subsidiaire lui permettant de s’échapper le temps de quelques intants ici et là. Parce qu’autour, c’est la folie dans l’épuisement.

Cette prison, en allant de sas en sas, est mise en scène comme un parcours du combattant. On peut mentionner les portiques, les bureaux où il faut y laisser quelques affaires, les bornes à cartes, la cellule d’attente, les cabines de douche, etc… Chaque sas ne se ressemble pas, et chaque nouveau sas est plus austère que le précédent. Plus le parcours progresse, plus le cadre montre l’effondrement des corps des visiteurs. Au fur et à mesure, les personnages s’assoient de plus en plus, plus longtemps, parce que ce parcours leur absorbe toute leur énergie. Cette prison est une sensation : avec le récit se déroulant en plein été, le cloisonnement fait miroir à la chaleur extérieure. En même temps que d’être un effondrement des corps, le film est un cloisonnement étouffant. A voir comment les maquillages sont un détail clé du long-métrage : coulant petit à petit, il exprime toute la durée du récit, que le montage ne peut réellement exprimer.

Les espaces sont un parcours surtout pour leur point de départ et leur point d’arrivée. Au début, l’arrivée dans l’entrée de la prison s’effectue avec des cadres ouverts, donnant la possibilité de faire demi-tour, de s’échapper. Quand la fin du long-métrage approche, le cadre s’oriente vers la séparation des corps, vers l’explosion du groupe en plusieurs morceaux (plusieurs plans, plusieurs cadres pour plusieurs personnages). Pendant que le parcours esthétique, dans des espaces explorés dans leur plus intolérable état, est filmé de l’ouverture vers l’enfermement, il y a le cadre qui implose en filmant des personnages regroupés finissant par connaître la chute (aussi bien morale, sentimentale que sociale). DE SAS EN SAS est un pur film d’espaces, qui explore la manière dont, durant un long parcours étouffant, des visiteurs sont transformés en ersatz de prisonniers sauvages.

DE SAS EN SAS de Rachida Brakni
Avec Zita Hanrot, Samira Brahmia, Judith Caen, Fabienne Babe, Meriem Serbah, Lorette-Sixtine, Souad Flissi, Salma Lahmer, Djamila Lemouda, Boubacar Samb, Sacha Bourdo, Serge Biavan, Luc Antoni, Simon Bourgade.
France / 82 minutes / 22 Février 2017

4 / 5
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