Creepy, le film de fantôme de Kiyoshi Kurosawa

Cette année 2017 est un cadeau de la part de Kiyoshi Kurosawa : trois films en quelques mois, dont un à Cannes. Dans CREEPY, K.K installe ses éléments dès le prologue, où l’ambiance l’anxiogène et les contre-plongées se mélangent pour créer l’angoisse. Dans ce prologue, K.K démontre qu’il a encore beaucoup de choses à proposer, qu’il n’a rien perdu comme d’autres ont pu le prétendre. Dans cette séquence, K.K résume toutes les idées qui feront la force de son film, toutes les intentions labyrinthiques aux attitudes froides qu’il développe ensuite.

CREEPY n’est pas qu’un film de fantôme, il est surtout un thriller. C’est pour ce mélange qu’il est un Kurosawa grand cru. Le principe de K.K est simple : installer le spectateur dans une confiance dès le prologue passé, et le plonger dans deux mystères à la fois. Même si une certaine révélation est attendue, elle est évidente car K.K prépare correctement sa narration pour faire basculer l’équilibre. K.K tient à créer le vertige dans la seconde partie du film (après la première heure), alors il décide de cacher son fantôme en disséquant d’abord ses personnes secondaires. Une fois que le fantôme est confirmé, et que le thriller est bien installé, K.K peut tranquillement appuyer sur la dimension horrifique.

Si le film est aussi angoissant et anxiogène, c’est qu’il explore les tiraillements domestiques. Tel un domestic drama, CREEPY narre progressivement le démantèlement d’une relation pour les rendre plus vulnérable face au fantôme qui les piège dans l’horreur. Mais encore plus, ce fantôme est lui-même un corps humain, mais qui n’a plus que la proximité avec autrui pour assurer une vitalité. Le fantôme est ici une sorte d’hybride, tel un humain dont il ne reste plus que l’esprit qui fait errer le corps dans un espace réduit. Et cet hybride est celui qui entraîne les autres personnages, tous humains, dans les abîmes de leur côté le plus sombre et malhonnête. K.K ne travaille pas à dévoiler ou faire disparaître le fantôme, mais à chercher comment ce fantôme hybride est l’élément déclencheur (et non perturbateur) du domestic drama et du thriller.

Ainsi, K.K est sensible à ce que les espaces ne montrent pas le pouvoir du fantôme, ni son attitude dangereuse ; le cinéaste tient davantage à des espaces qui torturent physiquement et moralement les autres personnages. Pour cela, chaque espace semble enfoui au fond de l’imaginaire (il y un sous-sol glauque qui fait penser à une traversée de tombeaux, il y a cette allée et ce petit parking devant deux maisons, etc), voire même reculé pour les détacher complètement de l’ordinaire. Ce pur produit de mise en scène permet de créer un pont entre les situations domestiques / traditionnelles du couple et les situations de genre (thriller, horreur). Autant la salle de cours et la salle à manger fonctionnent comme des transitions où se développent la personnalité des personnages, autant le bureau de recherche, la maison voisine et les rues sont des espaces qui déconstruisent les personnages et verrouillent tout sentiment.

K.K et son fantôme sont presque des doubles, car les deux se posent comme des manipulateurs qui actionnent des marionnettes. Chaque scène de CREEPY est une leçon de mise en scène, gérée comme une chorégraphie macabre où chaque approche corporelle est une tension supplémentaire. A plusieurs reprises, les corps échangent les places, se tournent autour, s’entrechoquent et se poussent vers le noir. K.K met en scène la perversité du corps à aller extraire le mal-être d’un autre corps, provoquant une attirance de plus en plus forte vers les espaces chaotiques. Comme si, par la chorégraphie qui rend les corps plus sauvages, la caméra peut jouer à encercler les personnages pour les pousser vers les espaces enfouis. Quand K.K filme son couple dans sa propre maison en plein repas, c’est dans une lumière flamboyante (similaire à la joie des retrouvailles de VERS L’AUTRE RIVE) et des plans rapprochés : comme si ces instants ne deviennent que pur fantasme dans un thriller qui contamine toute l’ ambiance jusqu’à atteindre la totalité des conversations.

Parce que, même quand il s’agit de regarder à travers une porte-fenêtre ouverte où le rideau bouge avec le vent, il y a un sentiment d’effroi qui laisse espérer au pire. La posture calme du fantôme est beaucoup plus angoissante dans ces plans fixes, que si le film venait à créer le mouvement perpétuel. K.K, même dans son prologue, fait preuve de lenteur dans les mouvements, pour amorcer une situation incertaine qui peut basculer à tout moment. C’est la cohérence nécessaire avec l’approche labyrinthique des espaces. Que ce soit la maison du couple, la maison abandonnée du mystère non résolu, le bureau de recherches ou surtout la maison du voisin, le montage privilégie le plan-séquence. En partant du plan moyen qui met à l’aise, K.K crée un sentiment d’aise, pour se diriger ensuite vers des plans plus serrés. K.K est un maître absolu du thriller et de l’horreur, parce qu’il a l’audace de s’opposer au jump scare, en utilisant le travelling lent avec silence. C’est parce que K.K prend le temps de décortiquer ses situations anxiogènes et casser ses personnages, que CREEPY réussit à être plus sombre que SHOKUZAI.

CREEPY de Kiyoshi Kurosawa.
Avec Hidetoshi Nishijima, Yûko Takeuchi, Toru Baba, Ryôko Fujino, Masahiro Higashide, Teruyuki Kagawa, Haruna Kawaguchi.
Japon / 2h10 / 14 Juin 2017

4.5 / 5
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