Comme un avion

Écrit et Réalisé par Bruno Podalydès. Avec Bruno Podalydès, Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès, Agnès Jaoui, Vimala Pons, Michel Vuillermoz, Pierre Arditi, Jean-Noel Brouté. France. 105 minutes. Sortie française le 10 Juin 2015.

COMME UN AVION se présente comme un film de famille, car le voyage de Bruno Podalydès (de son personnage, en fait) se joue à dévoiler plusieurs visages familiers. Ces acteurs qui travaillent souvent ensemble, et qui sont amis dans la vie hors caméras (et hors scènes de théâtres). On pourrait parler de troupe, car la présence de Sandrine Kiberlain, Agnès Jaoui, Michel Vuillermoz et Pierre Arditi (caméo magnifique) sont des valeurs sûres de cette famille. De plus, Bruno Podalydès met à nouveau en scène son frère, Denis Podalydès. Enfin, il y a ces petits nouveaux, telle Vimala Pons, plein d’énergie et de luminosité à revendre pour l’avenir de cette troupe. Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette famille artistique implique beaucoup de bonne humeur, une fraicheur qui amènerait le film vers une espèce de feel-good-movie caché.

Le principe de cette nouvelle réunion entre amis, c’est de passer le témoin, tout en essayant de rester dans la course. Comment se ré-inventer tout en gardant le même esprit de famille chaleureuse ? L’intrigue convient à cette volonté : le voyage en kayak de Bruno Podalydès correspond à une quête. Ainsi, il s’est mis en scène lui-même, en prenant le rôle principal. Avec cela, il se questionne sur son propre travail, sur sa création. Avec sa séquence d’exposition (jusqu’au départ en kayak), et même avec la scène finale (d’un lyrisme fou et doux) : c’est la convenance du passé qui est laissée entre parenthèse. Réfléchir sur ce qui a été fait avant, pour imaginer quelque chose de nouveau pour le futur. Tel un égarement, le temps d’un film, pour éviter le film-somme et partir dans une nouvelle direction.

Il pourrait s’agit d’une transition mélancolique, tant le protagoniste navigue à l’aléatoire. Bruno Podalydès se laisse porter par l’imagination, et par le courant dans le film. Mélancolie, parce qu’il y a l’angoisse de re-tomber dans l’évidence. Mais surtout, mélancolie dans les attitudes. Il n’y a pas de finalité prévue dans les actions, et absence totale d’enjeux. Ce ton provient de la convenance du passé. Ici, le film se veut comme un moment d’égarement parmi les habitudes. Une sorte de pause, dont le metteur en scène (et aussi son personnage principal) ont besoin. Mélancolie de l’imagination, de la perte de plaisir, qui devra se ressourcer dans le spontané et les rencontres. D’où l’intervention des nouveaux telle Vimala Pons, le passage de témoin qui apporte un nouvel objectif de ré-invention.

Le voyage qu’effectue Bruno Podalydès peut se voir comme une envolée. Un déploiement d’ailes, permettant de sauter de bulles créatives en autres. Pour cela, il y a la nécessité de rêver, de se laisser porter par la passion. C’est là que le long-métrage devient, quelque part, une transition initiatique. Car la création dépasse la convenance du connu, les habitudes du passé (et du style). Avec COMME UN AVION, Bruno Podalydès délaisse légèrement le burlesque (considérablement réduit), et se jette en entier dans le sentimentalisme. Il s’agit d’une oeuvre débordante de sentiments, parce que la passion prend le pas sur la raison. A voir comment la révélation sur la possibilité de retrouver une personne par les photos, n’est pas développée. Il n’y a aucune once dramatique.

En effet, le film progresse car à cette captation d’instants, qui font du voyage une transition pleine de sincérité. Il s’agit de l’amour de l’instantané, de l’inattendu, et d’en profiter un maximum. Alors que les précédents films de Bruno Podalydès avaient déjà cette idée de saisir l’instant intime, ils avaient la fonction de servir la dramaturgie. Mais comme il n’y en a pas ici, le cinéaste/acteur se permet d’approfondir et d’étirer ces instants. Pas tous intimes, malheureusement, mais plein de sentiments et de sensations face à l’environnement. Car même les personnages secondaires font partie de ce tableau. Il n’y aurait pas le sentimentalisme du film sans ces autres personnages.

A eux tous, ils créent un tableau rempli de poésie. Et elle est multiple, caractérisée sous plusieurs choix (que ce soit de mise en scène ou d’esthétique). Il faut voir comment les corps se baladent sans raison dans ce décor. Leur placement recherche le naturalisme, sans pour autant avoir une valeur quelconque. Les corps s’agencent et se confrontent telle une évidence. Parce qu’en famille (la troupe), il y a cette facilité du rapprochement des corps. Pas besoin de se chercher, ils se sont déjà trouvés. On pourrait aussi dire que les corps dansent, mais ce serait aller très loin. Par contre, la musique colle parfaitement à l’esprit du film. Légèrement mélancolique parfois, avec quelques touches jazzy, c’est surtout le rythme pop qui fait le boulot pour dynamiser ce voyage de l’instant.

A côté de cela, l’esthétique cherche à marier le naturalisme avec l’impressionnisme. Les décors sont paradisiaques, tels des rêves éveillés (retour à ce rêve de l’envol transitoire), qui agissent surtout par leur lumière et les couleurs. Ce vert resplendissant qui vient orner tous les contours du cadre, et ce soleil qui vient parcourir tous les déplacements des acteurs. Il faut remarquer comment les emplacements des personnages sont marqués par la lumière. Impressionnisme car cette lumière est légèrement renforcée, et à part une petite scène de pluie, la scénographie est très marquée par le soleil et les grands espaces.

Ces territoires, majoritairement la verdure (sinon un parking, une cour au lieu de travail, le toit de l’immeuble), sont tous dans l’idée d’étendue. Comme si la liberté d’imagination, ainsi que les sensations, pouvent déborder tant qu’ils veulent. Loin d’être en roue libre, ces idées forment le puzzle d’une chorale du sentiment. Les espaces peuvent se voir comme les projections des rêves, voire de la mélancolie, des personnages. A noter également que ces grands espaces sont à l’origine de l’humour décalé (parfois dans la dérision) que porte le film. Sans jamais forcer et allonger ces moments d’humour, Bruno Podalydès l’instaure par petites touches, pour chacun des personnages.

Seuls petits défauts à relever dans ce long-métrage, il s’agit d’abord des répétitions. Là où certains personnages secondaires peuvent se révéler comme des étapes, ils reviennent un peu trop souvent par la suite. Cette transition mélancolique, et rêvée, est trop marquée par une stagnation. Cela se ressent dans l’écriture du film, autre défaut, où la narration peine à vraiment décoller. Avec un découpage et un montage amoureux et poétique (parfois des plans assez convenus), le film a pourtant du mal à se rythme. La faute à un texte bancal, même si quelques dialogues sortent du lot. La mélancolie de cette transition a trop d’influence dans le texte, qui ne prend pas trop de risques.

4 / 5