Citoyen d’honneur

Après avoir refusé de grands prix prestigieux aux quatre coins du monde, Daniel Mantovani, Prix Nobel de littérature, accepte une invitation à visiter sa ville natale en Argentine, dont il s’est inspiré pour tous ses livres. Mais accepter cette invitation est la pire décision qu’il ait jamais prise et il doit s’attendre à tout, étant donné qu’il retrouvera les personnes qui ont inspiré les personnages de ses romans !

Le premier plan montre le protagoniste en plan rapproché épaules, le spectateur et la caméra sont déjà en train de l’accompagner, avec la tête baissée et une main sur le visage. Alors qu’une voix-off est en train de présenter ce personnage, son passé et le prix qu’il va recevoir, le film préfère se placer du côté de la mélancolie et de la désillusion. Presque un apitoiement sur soi, mais surtout une fin de route – comme ce mur juste derrière le protagoniste, complétant le cadre en plan rapproché qui le piège.

En revenant dans sa ville natale, le protagoniste quitte un confort (sa vie européenne) pour des espaces figés. Que ce soit ce lac sans eau, cette inauguration vide de personnes, ce garage abandonné, ces commerces fermés : il y a une succession d’illusion dans la vie paisible et aveugle et menée par les habitants locaux. Lorsque le protagoniste arrive dans ce village, c’est comme si l’isolement sortait des esprits et se matérialise dans quelque chose inéluctable. Avec beaucoup de plans fixes, le cadre saisit le côté fantômatique des espaces, leur sensation de ne pas appartenir à une ambiance devenue superficielle. C’est ce qui transforme le film en fable cruelle, impitoyable : le relief est supprimé ou alors troublé, autant que la mise en scène des corps crée la confrontation sans issue.

Telle une comédie existentielle, mais pas trop, ou un caractère socio-politique, mais pas trop. Le but des cinéastes n’est pas de pousser la morale à son extrême. La superficialité de l’ambiance se traduit parfaitement dans l’esthétique, quand la caméra accompagne le protagoniste dans ses allers et retours dans chaque bâtiment, ainsi que dans les rues. Presque une déambulation, mais surtout une errance dans un monde replié sur soi-même (tel un monde qui dénonce un passé dictatorial, mais pas trop). C’est avant tout une grande mise en abîme des personnages de l’écrivain (joué par un admirable Oscar Martinez). Ce village est une sorte de toile d’araignée isolée du monde moderne, dans laquelle se coince un personnage énigmatique, où les habitants du village sont le miroir des personnages créés dans les livres de l’écrivain.

Le soucis vient de la nostalgie du passé. Non pas dans les espaces figés, mais dans ce qu’il manque au présent. Le côté superficiel se traduit par une vanité dans les attitudes, mais il manque cruellement de folie dans la durée. Chaque cadre montre comment l’absurdité plane sur les espaces (on peut se remémorer ici LES HABITANTS de Alex Van Warmerdam), tandis que la mise en scène n’a pas cet excès qui permettrait de crucifier définitivement un monde fantasmé, qui permettrait de justifier cette admiration d’une image (ce qu’interprète bien Oscar Martinez, tant sa stature devient plus admirée que ses paroles). Même si la tentation du film noir est finement évitée à chaque séquence, le long-métrage n’arrive pas à décoller vers un rythme plus éclaté : l’assemblage est trop propre, trop carré, trop linéaire. Tout en restant une sympathique comédie.

CITOYEN D’HONNEUR de Gaston Duprat et Mariano Cohn
Avec Oscar Martinez, Dady Brieva, Andrea Frigerio, Belen Chavanne, Nora Navas, Marcelo d’Andrea, Ivan Steinhardt, Manuel Vicente.
Argentine / 115 minutes / 8 Mars 2017

3 / 5