A la folie

Réalisé par Wang Bing. Japon. 227 minutes. Sortie française le 11 Mars 2015. Documentaire.

Voilà un documentaire très ambitieux dans le nombre de visages qu’il traite. Dans sa longue durée, le film s’attache à faire le portrait d’un collectif. Dans cet institut, on peut y trouver toutes sortes d’hommes. Sans narrer des chapitres ou des ruptures au montage, le long-métrage arrive pourtant à se focaliser sur de nombreuses personnes. Tous ces internés logent dans le même institut, dans le même couloir. C’est cet espace commun qui relie tous les portraits dressés. Car en développant les hommes chacun leur tour, le film passe du collectif à l’individuel. Ou comment un plan avec plusieurs visages peut en faire ressortir qu’un seul, voire deux. Avec les mouvements constants, le documentaire crée l’éternité au sein des internés.

Cet institut montre des hommes détruits par le système, devenant malgré eux des internés. En cela, le film se concentre à leur donner du temps, pour les restituer au sein d’une société. Ils ont constamment l’air de ne pas être là où il faut. Ces internés ne sont pas à leur place, et leur ré-humanisation (retour dans un semblant de société) passe par une caméra amoureuse. Entre guillemets. Parce que les plans séquences de Wang Bing livrent un grand respect à ces hommes. Le film interroge ainsi le regard. Qu’il soit celui du spectateur ou celui d’un cinéaste. L’amour et le respect se justifient dans une approche délicate, qui prend son temps, où le vide du quotidien devient le moteur d’hommes à réhabiliter.

Il s’agit de âmes errantes qui vont et viennent dans ce couloir. De chambres en chambres, les lits ne sont attribués que explicitement. Rien ne semble être officiel, posé et acquis. Il y a toujours la base d’une situation, mais qui ne se termine jamais à cause de l’esprit de ces internés. L’errance continue de ces hommes décrit un état chaotique, mais suggère davantage (tel un monstre politique qui manipule ces internés par une ficelle). Ces visages, ces âmes forment un mouvement abstrait dans ce couloir, où le grillage les emprisonne dans les cent pas. Dans ce couloir, il y a quelques arrêts. Ce sont les entrées dans les chambres. Des pièces étouffantes, qui consument les hommes dans la vanité de leur situation. Il est possible de sortir des chambres, librement, mais au prix d’un couloir désert de société.

Car ce couloir est infini, sa structure n’est jamais définie dans une architecture précise. Les portes et les chambres se ressemblent, et le couloir ne contient qu’un point d’eau pour un étage entier. Sinon, le couloir est cette partie de l’errance où un virage est un éternel recommencement. Après avoir franchi une partie du couloir, l’errance continue et reprend dans toute sa folie et son abstraction. Le couloir a évidemment un grand mur en béton, mais contient de l’autre côté un grillage. Il faut voir comment ces internés se collent contre ce matériau. Ce ne sont pas eux qui le serrent comme des animaux en cage, le film les respecte trop. C’est bien ce grillage qui se serre à eux. La liberté est réduite à un couloir infini et abrutissant, tandis que les trous du grillage représentent l’espoir de communication avec l’extérieur.

Il y a pourtant, peut-être, deux légers soucis dans ce film. Même si la séquence en extérieur montre la virtuosité du cinéaste Wang Bing, et le cycle interminable de la folie, il n’apporte rien à la vie intérieure de l’institut. L’approche change radicalement d’un instant à un autre, où la forme se libère. Comme un contrepoint aux trois heures précédentes, même si le propos reste identique. LE retour dans l’institut n’apportera pourtant rien de plus. Car les vingt dernières minutes ne sont que des répétitions, telle une conclusion des trois premières heures. Le film s’appuie ici sur ce qu’il a déjà dit, déjà montré, et désire uniquement mettre un point final. Mais à la fin, le collectif est bien devenu des individualités avec respect et amour.

4 / 5