Billet d’Humeur : Les Enfoirés & Tryo

Si le gouvernement peut sortir le 49-3 pour faire passer une loi qu’il a pondu, alors moi aussi je peux m’imposer là où on ne veut pas de moi. Je vais m’immiscer dans l’industrie musicale. Le terme d’industrie n’est pas choisi par hasard, car je parlerai bien ici de la commercialisation de la musique. Vous savez, cette partie dégoûtante de l’art où le jugement se base sur l’argent récolté. Comme avec ces chanteurs et chanteuses dont la voix est modifiée pour vendre des CD. Tellement pathétique, rendez-nous les 33 Tours ! Bref, je m’enfonce dans une pensée qui ne fera nullement progresser mon propos. Soit dit en passant, un peu comme les personnalités politiques d’aujourd’hui.

Mon propos concerne la musique engagée. Vous n’en croirez pas vos yeux en lisant ce papier, quand vous verrez Charlie Hebdo et les Enfoirés dans la même pensée. Plus précisément, faisons le topo de la musique engagée. Bon nombre d’artistes et autres pousseurs de notes ont voulu s’exprimer par la chanson. Souvent, les discours sont socio-politiques. Et c’est de là que vient le grand problème de ce concept. Ce n’est pas parce qu’on est artiste, que notre regard sur la société est juste. Des fois même, certains choisissent la facilité en vulgarisant ou popularisant leurs paroles, afin d’aller réveiller les esprits légèrement cyniques et naïfs qui se bourrent le crâne à coups de TF1, Touche pas à mon poste et Le Grand Journal. C’est cool les blagounettes carambar et les infos qui servent à rien, n’est ce pas ?

Prenons la chanson « Toute la vie » de ces chers Enfoirés. Notons quelques éléments du clip. Les jeunes et les vieux périmés sont exposés dans une symétrie de confrontation. On se demande bien qui est Achille et qui est Hector. Allez, je te montre du doigt parce que tu dis des bêtises. Mais ne t’en fait pas, j’ai trois autres doigts pointés sur moi (faites l’expérience, vous verrez). Et restons sans bouger, comme des statues au coeur de pierre. Signalons le décor très sombre. Où seul le blanc crée un semblant de lumière, alors que la plupart des pousseurs de voix sont en noir ou gris. Ambiance moribonde avec toutes ces ombres qui laissent présager un univers apocalyptique ! Oh mon dieu, mais les Enfoirés sont devenus pessimistes ? Ils devraient, puisque leurs concerts, albums et DVD ne suffisent apparemment pas à stopper les Restos du Coeur à ouvrir chaque année.

« Des portes closes et des nuages sombres ». Viens chez moi JJ Goldman, toi qui a écrit la chanson, tu verras la porte est ouverte. Cette première réplique, tu l’as trouvé chez TF1, lors de la semaine pour l’emploi ? Et ces nuages sombres, tu ne dois pas souvent aller sur la côte. Même aujourd’hui, j’ai eu du soleil dans ma commune perdue en Picardie (note-le, Dany Boon). Donc les jeunes cracheraient sur l’héritage des anciens ? Je ne savais pas que tu copiais tes textes sur les programmes de Marine Le Pen. Si le passé t’encombre, tu aurais dû écrire beaucoup plus de chansons engagées, voyons. Jeunesse dégoûté, jeunesse en colère : je te soupçonne, cher JJ Goldman, de passer trop de temps sur Facebook et Twitter. Voire Instagram.

Le plus drôle reste à venir avec « Vous aviez tout, paix liberté, plein emploi. Nous c’est chômage, violence et sida ». Moi, vingt cinq ans de bêtises, je n’ai pourtant pas connu les deux guerres mondiales. Je n’ai pas connu la guerre froide. C’est ça, ta liberté ? Pour le plein emploi, on reparle des chiffres des années 1930 ? Un petit cours d’Histoire te ferait du bien, cher JJ Goldman. Pas de ma part, les lecteurs risqueraient de croire que je donne des leçons. Oh attends, tu connais bien ceci, non ? En effet, puisque apparemment la société actuelle est pleine de chômage pour les jeunes (un ami d’une vingtaine d’année travaille à San Francisco, à part ça c’est la misère), pleine de violence (on aime tous la stigmatisation) et pleine de sida (pourquoi pas Ebola tant qu’on y est ?).

« Vous avez sali les idéologies » : JJ Goldman, j’ai hâte de connaitre cette liste d’idéologies. Ca donnera du boulot en plus à Christophe Conte pour son billet dur dans les Inrocks. Ah, tant que j’y suis : depuis quand « fumer » est un acte de grande pollution ? Ca va seulement te pourrir les poumons, c’est pas grand chose. Enfin, tu relèves le niveau de ta chanson à coups de recherche d’utopie et de magnifiques « c’est bidon ». Avant de conclure sur « vole et vas-y », ligne surement soufflée par Louane Emera (tu sais, une gosse de The Voice TF1 qui gagne un César, nom d’une pipe !). Ta réponse, si belle : « vous avez toute la vie ». Merci pour tout cet amas de clichés made in télévision populaire, merci pour cette vision assombrie et périmée de la jeunesse. Une sorte de classe autonome qui se ne renouvelle pas et qui regarde la société de loin, où le culte de la réussite sociale est le point d’extase.

J’aurais tellement voulu décortiquer toutes les lignes de ce texte si prestigieux, mais je dois aller voir ailleurs. Notamment chez Tryo, qui font passer un acte d’amitié pour l’un des pires engagements socio-politiques. Avec leur chanson hommage à Charlie Hebdo, c’était devenu le pompom (avant le grand coup signé par Les Enfoirés). Pour éviter d’allonger ce papier pavé, résumons leurs paroles à « le monde a changé, des enragés ont tué des gens biens, oh que c’est méchant, vilain ! vilain ! ». Plus que la règle sur les doigts, et on peut couronner Tryo de dégager la meilleure popularisation cynique de toute l’histoire de la musique française.

JJ Goldman, Tryo, et leurs admirateurs d’un jour pour leur engagements respectifs : je ne vous embrasse pas, je compte mes billets avec la grippe.